« J’ai retrouvé chez les Griffaton une vie de famille », apprécie Abou. Ce réfugié mauritanien de 25 ans est arrivé en France en décembre 2015. Cet été, pendant six semaines, le jeune homme a cohabité avec Thierry et Corinne Griffaton ainsi que leurs quatre enfants. Ils lui ont ouvert les portes de leur maison familiale située en banlieue parisienne, à Cachan (Val-de-Marne). Un modèle d’accueil des réfugiés dans des familles que le gouvernement souhaite développer.

Le 10 août, la ministre du logement, Emmanuelle Cosse, a ainsi lancé un appel à projets pour développer « l’expérimentation de dispositifs d’hébergement de réfugiés chez les particuliers ». « Le but est d’apporter un complément de l’offre d’accueil plus classique. Il s’agit de reprendre et d’accompagner une pratique solidaire », explique le ministère du logement. Le dispositif doit permettre d’accueillir 1 000 réfugiés. L’Etat va soutenir financièrement, à hauteur de 1 500 euros par personne et par an, les associations qui mettent en place un accompagnement individuel des migrants. Objectif de cette opération : aider les migrants à réussir leur parcours d’intégration et à « construire un projet de sortie vers un logement pérenne et autonome ».

La diffusion de la photo d’Aylan Kurdi, mort noyé le 2 septembre 2015 alors que sa famille tentait de rejoindre l’Europe, a été un « déclencheur » pour Thierry Griffaton. L’administrateur de biens de 46 ans contacte alors le Service jésuite des réfugiés (JRS). L’association est à l’origine du projet « Welcome en France », qui propose à des familles d’héberger un demandeur d’asile pendant environ un mois. L’objectif ? Vivre une expérience d’hospitalité réciproque. « Il faut s’intéresser à la personne en elle-même et pas seulement à ses problèmes, souligne Corinne Griffaton. Nous l’avons reçu comme nous aurions accueilli un ami. »

« Gifle culturelle »

En février et en mars 2015, les Griffaton avaient déjà tenté l’expérience avec Momo, un réfugié afghan de 35 ans. « Nous sommes impressionnés de la facilité avec laquelle tous les deux se sont adaptés à la vie de famille », affirme le couple. Repas avec des amis, jeux avec les enfants… Au fil des activités, un véritable lien s’est créé entre les hébergeurs et les réfugiés. « Abou, c’est comme un fils pour nous », précise la mère de famille.

Depuis le départ de Momo et d’Abou, la famille est régulièrement en contact avec ses protégés. « Ils ont tous les deux une histoire très forte. Le fait de la partager avec nous, c’était très enrichissant. Nous avons beaucoup appris », explique Thierry Griffaton.

Un enrichissement qualifié de véritable « gifle culturelle » par Farshad Emam, qui a hébergé Rudi, un réfugié syrien de 28 ans, en avril et mai 2016, par le biais du projet « Comme à la maison » (CALM), lancé par l’association Singa France. « Je ne présente plus Rudi comme un réfugié mais comme mon ami, souligne ce producteur musical de 35 ans. Il m’a permis de voir la vie d’une autre manière. »

Dès leur première rencontre dans un café parisien, le courant passe entre les deux hommes qui partagent le même intérêt pour la géopolitique. Mais aussi le même goût pour les bons plats. « Nous sommes des gourmands tous les deux. Il m’a fait découvrir les spécialités syriennes et moi la cuisine française. C’était des moments de partage », se souvient Farshad Emam.

Lorsque le producteur musical annonce à son entourage qu’il s’apprête à recevoir un réfugié dans une des chambres vides de son appartement de Palaiseau (Essonne), ses amis sont sceptiques. « Ils ont réagi assez vivement. Mais cela leur a permis d’ouvrir les yeux », explique le trentenaire, pour qui, face au drame des migrants, « il faut agir ».

Un sentiment partagé par Nadine Glad, qui héberge Jallal (le prénom a été modifié), un réfugié syrien de 35 ans, depuis décembre 2015, par l’intermédiaire de Singa France. Impliquée dans le milieu associatif, la femme de 68 ans s’est sentie concernée par la crise migratoire qui frappe l’Europe. « J’avais quelques craintes au début, notamment la barrière de la langue. Je vivais seule depuis cinq ans, il a fallu composer, trouver un juste milieu. J’ai appris à garder une certaine distance sans être indifférente, explique-t-elle. Lorsqu’on accueille quelqu’un avec une histoire aussi forte, nous devenons partie prenante de celle-ci. »

Le contrat d’hébergement établi par Singa a pris fin, mais Nadine Glad a décidé de continuer de loger Jallal le temps qu’il termine les études reprises à l’université Paris-VIII. « Faire cohabiter des réfugiés avec des particuliers facilite leur intégration car cela permet de leur donner les codes de la société française, souligne l’hôte. Six mois dans une vie, c’est rien. Si chacun apportait sa pierre à l’édifice, ce serait déjà énorme. »