Le corps d’un soldat transporté dans le coffre d’une voiture après le double attentat-suicide près du ministère de la défense à Kaboul, le 5 septembre 2016. | WAKIL KOHSAR / AFP

Kaboul s’enfonce dans la guerre. La capitale afghane a été frappée par trois attentats-suicides en moins de vingt-quatre heures, qui ont fait au moins trente-six morts et une centaine de blessés, à proximité du ministère de la défense. Plusieurs passants, policiers et soldats se sont alors rendus sur le lieu de l’explosion pour venir en aide aux victimes. C’est à ce moment précis qu’un kamikaze s’est infiltré dans la foule, près d’un pont, et s’est fait exploser.

Selon les autorités, la première bombe a été actionnée à distance, et la deuxième, par un insurgé. Des corps ont été projetés dans la rivière Kaboul, et, face à l’afflux de blessés, on a dû en transporter certains à l’arrière de pick-up de la police. Selon un bilan provisoire, ce double attentat a fait trente-cinq morts et cent trois blessés dont un général et plusieurs hauts responsables des forces de sécurité. Un porte-parole taliban a revendiqué la double attaque et a indiqué que la première détonation visait le ministère de la défense, et la seconde la police.

Les nombreux barrages policiers n’y font rien

Quelques heures plus tard, vers 23 heures, une lourde explosion a retenti dans le centre de la capitale, à Shar Naw, devant un bâtiment abritant une ONG afghane. « L’explosion a été si violente qu’elle nous a réveillés. On a ensuite entendu des coups de feu. Plusieurs quartiers sont bouclés et la ville est paralysée », témoigne une habitante de la capitale. Une voiture piégée a explosé avant que deux assaillants pénètrent dans les locaux de l’ONG, selon un mode opératoire souvent employé par les talibans. L’assaut des forces de sécurité afghanes a duré toute la nuit et s’est terminé en fin de matinée par la mort des deux assaillants. Au moins six habitants ont été blessés, et un a été tué.

L’intensification de l’offensive talibane dans le pays, où la situation sécuritaire s’est nettement détériorée depuis la fin des opérations de combat de l’OTAN fin 2014, n’épargne plus Kaboul. Les nombreux barrages policiers ou les murs anti-explosion protégeant les bâtiments sensibles de la capitale n’y font rien : les attaques terroristes se multiplient. Le 25 août, trois insurgés ont mené un assaut de plus de dix heures sur le campus de l’université américaine afghane, faisant treize morts.

« Ultraradicalisation »

Même si cette attaque n’a pas été revendiquée, les analystes soupçonnent les talibans ou le réseau Haqqani, qui lui est étroitement lié, seuls capables de planifier un tel assaut, d’en être les auteurs. Outre les institutions gouvernementales du pays, les insurgés ne se contenteraient plus de frapper les cibles occidentales, mais également celles « sous influence idéologique occidentale », comme l’a théorisée Abdoul Hadi Moujahid, reconnu par les talibans comme « l’un des penseurs du djihad ».

L’attaque de l’université américaine « démontre une férocité accrue dans la tactique des talibans, parallèle à la mise en avant d’un nouveau groupe d’extrémistes au sein du mouvement », estime Borhan Osman dans un article publié lundi par le think tank Afghanistan Analysts Network, basé à Kaboul. « Ces nouveaux extrémistes prennent beaucoup plus au sérieux l’idéologie que les considérations politiques du mouvement », poursuit le chercheur, relevant le risque d’une « ultraradicalisation » des insurgés.

Cette flambée de violence dans la capitale fait écho à la progression militaire des talibans dans le reste du pays. Selon le rapport publié par l’inspection générale spéciale pour la reconstruction de l’Afghanistan en juillet, les talibans contrôlent trente-six des 407 districts, un niveau sans précédent depuis l’invasion américaine de 2001 qui les a chassés du pouvoir. Les forces armées afghanes sont déployées dans quinze provinces, sur les trente-quatre que compte le pays. En août, cent soldats américains ont été envoyés en renfort à Lashkar Gah pour éviter que la capitale de la province stratégique du Helmand ne tombe aux mains des insurgés. Les talibans ont consolidé leurs avancées dans les provinces de Kunduz et de Baghlan, dans le nord du pays, ainsi que dans la province de Paktia, à l’est.

Le think tank de l’Institut pour l’étude de la guerre, basé à Washington, estime dans un « audit des menaces » pesant sur le pays, publié le 29 août, que « l’armée nationale afghane reste mal préparée et est en manque de ressources pour mener des opérations simultanées dans plus d’une région, malgré l’assistance de l’OTAN et des Etats-Unis ». Une situation militaire fragilisée par l’instabilité politique au sommet de l’Etat afghan. Mi-août, le chef de l’exécutif Abdullah Abdullah, a sévèrement critiqué son allié, Ashraf Ghani, le jugeant « inapte à présider » le pays.

D’ici à fin septembre, le gouvernement est censé avoir réformé en profondeur le système électoral et amendé la Constitution afin de créer la fonction de premier ministre pour M. Abdullah, comme le prévoit le fragile accord de partage du pouvoir obtenu après l’élection de septembre 2014 marquée par des fraudes, et dont les deux camps ont revendiqué la victoire. Les observateurs estiment qu’il y a peu de chances que ce délai soit respecté, ouvrant la voie à une crise politique.