Le Nigeria n’est plus la première puissance économique d’Afrique. Le pays le plus peuplé d’Afrique qui compte plus de 15 000 millionnaires est entré en récession. Le président Muhammadu Buhari, au pouvoir depuis mai 2015, affronte le groupe terroriste Boko Haram au Nord, des mouvements armés qui ciblent les installations pétrolières dans le delta du Niger et une économie qui subit la baisse des cours des matières premières. Spécialiste du Nigeria, l’économiste à l’AFD [partenaire du Monde Afrique] Slim Dali analyse la situation.

Au deuxième trimestre, le PIB a décliné de 2,06 % sur un an, selon le bureau national des statistiques. Cette récession augure-t-elle une grave crise économique ?

Slim Dali Ce recul marqué de l’activité fait suite à une contraction de -0,4 % au premier trimestre de 2016 sur un an. Sur l’ensemble de l’année, on peut estimer que cette tendance va se confirmer. Selon le FMI, la prévision de croissance du PIB pour 2016 est estimée à -1,8 %, ce qui est, à mon avis, légèrement optimiste.

En réalité, le Nigeria peut s’attendre à une croissance entre -2 % et -3 %. On peut donc considérer que le pays est déjà en crise économique qu’il enregistrera une contraction générale de son activité, cette année.

Première puissance économique du continent d’avril 2014 à août 2016, le Nigeria risque de perdre ce statut d numéro un africain. Comment l’expliquez-vous ?

La situation actuelle est la conséquence de la chute des cours du pétrole démarrée en 2014. Le Nigeria est resté très dépendant du secteur pétrolier qui représente 95 % de ses exportations. C’est un pays qui est toujours mono-exportateur.

Avant 2014, les revenus des hydrocarbures représentaient 70% des recettes fiscales pour l’Etat central qui redistribue ensuite aux 36 Etats de la fédération. Aujourd’hui, c’est deux fois moins. Selon le FMI, une contraction d’un dollar du prix du baril de pétrole implique une baisse des revenus pour les Etats fédérés estimée à 250 millions de dollars (222,6 millions d’euros) par an. Or le prix du baril est passé de 100 dollars en 2014 à 43 dollars en myenne depuis le début de l’année 2016. Les pertes de recettes budgétaires se comptent donc en milliards de dollars.

Ce qui renforce les tensions sur la liquidité du secteur public et provoque des difficultés pour les Etats fédérés à assurer les dépenses courantes, le paiement des salaires des fonctionnaires, et à honorer leurs dettes contractées auprès de l’Etat fédéral.

La situation est-elle seulement conjoncturelle ?

Au-delà de ces aspects conjoncturels liés à la baisse des cours du pétrole, il y a pourtant un aspect structurel : la baisse des rendements des revenus du pétrole, soit le ratio entre la valeur marchande de la production pétrolière sur les recettes fiscales du pétrole et du gaz. Depuis plusieurs années, on observe une baisse tendancielle des rendements fiscaux du pétrole, ce qui s’explique par le vieillissement des sites de production et le renchérissement des coûts de production.

2016 devrait être une année de crise économique pour ce géant d’Afrique de l’Ouest dont le PIB est plus de trois fois l’ensemble des économies de la zone franc CFA. Mais la situation pourrait s’améliorer l’année suivante car on peut espérer une réduction des actes de sabotage pétrolier, voire une inflexion des cours du pétrole…

Quel est l’impact économique des actions du groupe terroriste Boko Haram au nord-est du pays et des attaques de sites pétroliers par des mouvements armés dans le delta du Niger ?

Il faut relever tout d’abord les grandes disparités régionales qui se traduisent sur le plan économique et social. Au nord du pays, le taux de pauvreté est de 70 % contre 52 % au sud. Ce n’est rien d’autre que la conséquence d’un développement économique inégal depuis longtemps, qui s’est concentré sur trois pôles : Abuja, la capitale administrative, Lagos, la capitale économique, et Port-Harcourt, la capitale pétrolière. Ces trois régions représentent plus de 32 % de la richesse nationale produite.

Les actions de Boko Haram sont extrêmement spectaculaires, mais leurs effets sur l’économie sont finalement minimes. Elles se concentrent sur quatre Etats du nord où résident 8 % de la population totale pour une contribution à la richesse nationale évaluée à 4 %. Ce qui est sans commune mesure avec les actions des groupes armés du sud du pays, dans le delta du Niger. Entre 500 000 et 700 000 barils par jour y sont perdus (détournements et sabotages) depuis le début de l’année. Ce qui n’est pas négligeable.

A la raffinerie de Port-Harcourt, la plus ancienne du Nigeria en activité depuis 1965. | PIUS UTOMI EKPEI / AFP

Au pouvoir depuis mai 2015, le président Muhammadu Buhari avait défini deux priorités économiques : combattre la corruption et diversifier l’économie. Seize mois plus tard, notez-vous des avancées ?

M. Buhari affiche la volonté d’assainir un secteur pétrolier qui était gangrené par la corruption et les détournements importants. Il y a eu des arrestations spectaculaires, comme celle de l’ancienne ministre du pétrole [2010-2015], Diezani Alison-Madueke. La société pétrolière nationale a été restructurée. Donc des actions ont été mises en place par le nouveau président. Toutefois, il est trop tôt pour évaluer un quelconque impact sur l’économie.

Quant à la diversification de l’économie, un plan 2016-2018 a été voté et mis en place. Le budget 2016 prévoit une hausse de 30 % des dépenses d’investissements publics pour soutenir cette diversification, et ce malgré une baisse des recettes dans un contexte de crise.

Pour le moment, le nouveau président nigérian n’a pas trouvé la solution. Il a notamment essayé d’inciter à une production nationale en interdisant l’importation de 41 produits dont le riz. Cette mesure était censée réduire la demande de liquidités en devises, mais aussi favoriser la relance de l’agriculture et de l’industrie. Mais plutôt que de s’essayer au « Made in Nigeria », les importateurs se sont rabattus sur le marché noir pour se fournir en devises et en produits.

Le renchérissement du coût de la ressource en devises pour les importateurs a eu pour conséquence une nette hausse de l’inflation (17 % en juillet). En matière de politique monétaire, la Banque centrale a fini par décider, en juin, de laisser flotter le naira après l’avoir maintenu trop longtemps à taux fixe par rapport au dollar. Ce qui a immédiatement provoqué une dépréciation du naira à plus de 30 %, un mouvement qui se poursuit.

Cette politique monétaire s’est donc révélée inefficace. Tout comme ce protectionnisme limitant les importations qui n’a pas eu l’effet escompté de favoriser une production nationale.

Comment relancer une industrie nationale alors que le Nigeria souffre d’un manque d’énergie et ne produit que 2 500 MW d’électricité ?

Améliorer la génération d’électricité est un défi majeur pour le pays. Mais cela doit s’inscrire dans le cadre d’une politique économique soutenable. Pour ce faire, le Nigeria semble à terme forcé de lever les contraintes sur le marché des changes et sur les importations de produits.

L’autre priorité, c’est de parvenir à augmenter les revenus fiscaux hors pétrole. A ce jour, ils figurent parmi les plus bas du monde : environ 4 % ou 5 % du PIB avant la crise contre 10 % à 15 % du PIB pour les autres pays pétroliers.

Le Nigeria ne peut plus vivre avec un budget qui dépend à hauteur de 70 % de l’industrie pétrolière. Il va falloir augmenter cette base fiscale et améliorer la collecte de l’impôt dans un environnement où l’informel représente près de 60 % du PIB.

Le budget 2016, approuvé par le Parlement en mars, table sur une baisse de 41 % des recettes budgétaires pétrolières par rapport à l’année précédente.