Enfants revenant de l’école dans l’île indonésienne de Sulawesi (mai 2012). | Unesco

« Garantir l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie. » L’objectif est ambitieux… et ne sera pas atteint. Selon les auteurs du « Rapport mondial de suivi de l’éducation », publié par l’Unesco (l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) mardi 6 septembre, sans accélération et changement dans les systèmes éducatifs mondiaux, « au rythme actuel, le monde parviendra à un enseignement primaire universel en 2042, à un enseignement secondaire du premier cycle en 2059 et secondaire du second cycle universel en 2084 ». Soit, un demi-siècle de retard par rapport à la cible qui est 2030, pour ce quatrième objectif de développement durable (ODD) adopté par les Nations unies en septembre 2015 – au total, dix-sept nouveaux objectifs avaient alors remplacé les huit objectifs du millénaire (OMD) fixés pour la période 2000-2015.

« 263 millions d’enfants de 6 à 17 ans [la période retenue pour la scolarisation] ne sont toujours pas scolarisés, alors que la planète compte près d’1,5 milliard d’enfants de cette classe d’âge », explique Nihan Koseleci, chercheure et membre du groupe d’une vingtaine de personnes qui travaille sur ce rapport mondial, qui existe depuis 2002.

Transformer radicalement le système éducatif

Mais le problème n’est pas qu’une affaire de chiffres et de statistiques. Au-delà du nombre d’enfants exclus de l’école, pour des raisons géographiques, sociales, de conflits ou encore de migration, il faut aussi transformer le système éducatif. « Nous devons changer radicalement la façon dont nous envisageons le rôle de l’éducation dans le développement mondial, car elle joue le rôle catalyseur pour le bien-être des individus et l’avenir de notre planète », a ainsi déclaré la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova.

A la différence des OMD qui concentraient la problématique du développement dans une logique essentiellement d’aide aux pays en voie de développement, s’agissant de l’éducation, la santé, l’alimentation ou encore de l’égalité entre les sexes, les ODD visent à inciter tous les pays, au Sud comme au Nord, à atteindre les nouvelles cibles. Concernant l’éducation, alors que seul le primaire était visé par les ODD – de réels progrès ont été enregistrés, notamment en Afrique subsaharienne, même si l’objectif d’une scolarisation universelle n’a pas été atteint en 2015 –, l’ambition s’est étendue à l’ensemble du cycle jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire.

Surtout, les ODD ont renforcé une vision globale du développement mondial, conjuguant les questions éducatives, sanitaires, sociales et environnementales pour une croissance inclusive. Et, pour la première fois, ce rapport mondial étudie un aspect fondamental pour l’avenir de la planète, le rapport entre l’éducation, ses contenus, et le développement durable, prenant en compte les problématiques liées au réchauffement climatique notamment.

Education à l’environnement dans une école aux Etats-Unis (mars 2016). | Unesco

« Plus qu’une simple transmission des connaissances »

Ainsi, écrivent les auteurs, « si, dans la majorité des pays, l’éducation est le meilleur indicateur de la sensibilité à la question du changement climatique, les programmes scolaires de la moitié des pays du monde ne mentionnent pas explicitement le changement climatique dans leur contenu ». Selon eux, près de 40 % des enfants de 15 ans, dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), n’ont que des connaissances élémentaires des problématiques environnementales. « Si nous voulons une planète plus verte, et un avenir durable pour tous, nous devons exiger plus de nos systèmes éducatifs qu’une simple transmission de connaissances », estime ainsi Aaron Benavot, le directeur du rapport.

Depuis longtemps les rapports des différentes agences des Nations unies comme des ONG insistent sur l’importance de l’éducation des jeunes filles et des femmes, quant à l’apprentissage de la maîtrise de leur fécondité et donc de la croissance démographique ou encore leur rôle dans l’activité économique, notamment dans le secteur agricole, sur le développement durable. L’édition 2016 du rapport de l’Unesco dit aussi les conséquences de l’éducation des filles et des femmes sur la réduction des effets des catastrophes. « Pour lutter contre les effets du changement climatique, il est plus efficace d’élargir l’accès à l’éducation que d’investir dans des infrastructures comme les digues ou les systèmes d’irrigation », écrivent les auteurs.

L’accès des filles à l’école doit rester une priorité, ici, à Lao Cai, au Vietnam (septembre 2013). | Unesco

Et d’indiquer que selon leurs projections, en cas de stagnation des progrès de l’éducation, les décès dus aux catastrophes augmenteraient de 20 % par décennie. « Une étude réalisée à Cuba, en Haïti et en République dominicaine a révélé que l’absence de scolarité et les faibles taux d’alphabétisme avaient empêché les populations de comprendre les messages d’alerte aux catastrophes », précisent-ils.

L’apprentissage de pratiques agricoles plus vertueuses, le développement des entreprises dans le respect de l’environnement, l’élévation des niveaux scolaires et culturels permettant une meilleure implication dans la vie de la cité, sont autant d’éléments globaux qui permettront une croissance durable.

Langues locales et respect des cultures minoritaires

Les auteurs du rapport et l’Unesco plaident aussi pour le maintien des apprentissages dans les langues locales et le respect des cultures minoritaires. Selon eux, 40 % de la population mondiale suit un enseignement dans une langue qu’elle ne comprend pas. « Les savoirs locaux et autochtones ont contribué au bon fonctionnement des écosystèmes, à la création de systèmes d’alerte précoce aux catastrophes naturelles, et à l’adaptation et à la résilience des populations face au changement climatique », écrivent-ils. Le rapport cite ainsi l’exemple de l’Alaska Rural Systemic Initiative, aux Etats-Unis, qui a mis les élèves en relation avec les anciens des communautés autochtones, permettant un apprentissage des savoirs traditionnels, propices à la préservation des écosystèmes.

Le rapport, très complet, évoque aussi longuement l’importance des formations, à l’école et après, pour le développement d’une planète durable et vivable. « Les inégalités en matière d’éducation, couplée à des disparités plus larges, augmentent le risque de violence et de conflit », écrivent les auteurs. Ainsi, dans vingt-deux pays d’Afrique subsaharienne, les régions dans lesquelles le niveau d’instruction moyen est très bas ont 50 % de risque de connaître un conflit dans les vingt prochaines années. « Plus d’un tiers des enfants non scolarisés vivent dans les pays en conflit, un pourcentage en nette augmentation depuis les années 2000 », précise aussi Nihan Koseleci.

Fourmillant d’exemples concrets sur l’influence de l’éducation sur le développement mondial, ce rapport incite les gouvernements, mais aussi les milieux économiques, les ONG et les différents organismes présents sur le terrain, à mieux coordonner leurs efforts, leurs politiques, pour une efficacité plus grande. « Il est certes nécessaire d’augmenter les investissements dans ce secteur, mais aussi de mieux utiliser les fonds et les ressources », dit encore Mme Koseleci.

L’importance de l’école pour l’éducation à la santé, à Freetown, Sierra Leone, durant l’épidémie d’Ebola (octobre 2015). | Unesco

Pour espérer atteindre l’objectif d’une école universelle pour tous les enfants et tous les adolescents, les efforts à fournir ne sont certes pas les mêmes dans tous les pays. Mais, au Nord comme au Sud, la lutte contre les inégalités face au système scolaire reste urgente, ainsi que l’amélioration des systèmes éducatifs, leur fonctionnement comme les contenus proposés.