Antonio Guterres, au siège de l’ONU à New York le 12 avril. | KENA BETANCUR / AFP

Editorial du « Monde ». C’est l’autre élection de l’automne. Pas celle du président des Etats-Unis, mais celle du futur secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU). Qui succédera le 1er  janvier 2017 au Sud-Coréen Ban Ki-moon, après dix années de mandat terne ? L’enjeu est décisif. La guerre, les réfugiés, le climat, le développement durable, l’ONU devrait être au cœur de la gouvernance mondiale, mais elle est effacée depuis la guerre en Irak et trop marginalisée par le jeu des puissances. Aujourd’hui, l’ONU a besoin d’un secrétaire général fort.

Officiellement, le successeur de Ban Ki-moon sera investi par l’Assemblée générale des 193 pays membres. En réalité, il sera choisi par les quinze pays du Conseil de sécurité, avec droit de veto pour les cinq membres permanents (Etats-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France). Dans un louable souci de transparence, les candidats ont défilé à New York, et le Conseil a multiplié les votes à blanc (favorable, négatif ou neutre).

Une règle non écrite

Un candidat émerge clairement, l’ancien premier ministre portugais Antonio Guterres. A 67 ans, il a l’avantage d’avoir été dans le cercle des dirigeants mondiaux, il connaît par cœur la machine onusienne pour avoir géré le Haut-Commissariat aux réfugiés jusqu’en 2015, et, ce qui ne gâche rien d’un point de vue français, il est francophone et socialiste. Au dernier scrutin, il a reçu douze voix favorables, une neutre et deux défavorables.

M. Guterres a deux handicaps : il n’est pas une femme et, surtout, n’est par d’Europe de l’Est. C’est un secret de polichinelle, le Portugais suscite des réticences à Moscou. Il est victime de la nouvelle guerre froide que se livrent Occidentaux et Russes. Une règle non écrite stipule qu’il doit y avoir une rotation géographique des secrétaires généraux. Après l’Afrique avec le Ghanéen Kofi Annan et l’Asie avec Ban Ki-moon, le tour de l’ex-bloc soviétique, vaste région allant de la Slovénie à l'Asie centrale, serait venu.

Vingt-cinq ans après la chute de l’URSS, cette répartition est d’autant plus baroque que la moitié des Européens de l’Est est membre de l’UE et de l’OTAN et l’autre clairement dans l’orbite de Moscou. On assiste donc à la floraison de candidatures d’Europe de l’Est plus ou moins parrainées par Russes et Occidentaux (le ministre des affaires étrangères slovaque Miroslav Lacjack et le serbe Vuk Jeremic sont arrivés juste derrière M. Guterres, avec respectivement 10 et 9 votes favorables et 4 votes négatifs).

Le match le plus cocasse oppose deux femmes bulgares : Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, rejetée par les Américains notamment pour avoir fait entrer la Palestine à l’Unesco ; la commissaire européenne Kristalina Georgieva, candidate non déclarée mais poussée par Angela Merkel. L’affaire a donné lieu à un pataquès entre Russes et Occidentaux, qui conduit à neutraliser ces deux candidatures féminines.

La procédure devient de plus en plus opaque. A l’approche de l’Assemblée générale de l’ONU fin septembre, le grand marchandage s’engage : les Chinois veulent récupérer telle direction, la Russie obtenir une levée des sanctions européennes sur l’Ukraine, etc. Début octobre, un nouveau vote indicatif aura lieu et, cette fois-ci, les cinq permanents disposeront d’un bulletin de vote rouge : on saura quels candidats sont victimes d’un veto. M. Guterres a trois semaines pour convaincre les Russes que l’ONU mérite mieux que quelques arrangements entre vieux ennemis.