La « une » du journal norvégien « Aftenposten » accusant Facebook de censure. | Aftenposten

« Alors que j’étais dans l’avion entre Oslo et Trondheim, Facebook a supprimé un post de ma page Facebook. » Vendredi 9 septembre dans l’après-midi, la première ministre norvégienne, Erna Solberg, a fait état sur le réseau social d’un nouveau cas de censure de la part de Facebook, dans une affaire qui commence à prendre des proportions importantes en Norvège. Elle avait voulu, en publiant une photo, soutenir une démarche hors du commun du plus prestigieux quotidien norvégien.

Le matin, la « une » de l’Aftenposten était barrée d’une accusation grave. Espen Egil Hansen, son rédacteur en chef, s’adressait à Mark Zuckerberg, le patron du réseau social, pour avoir censuré la photographie de la « fillette au napalm ».

Cette image, prise il y a quarante-quatre ans par le photographe Nick Ut quelques semaines avant la fin de la guerre du Vietnam, tout le monde la connaît. Un groupe d’enfants court sur une route, près de Trang Bang, au nord de Saïgon, fuyant un bombardement au napalm. Au centre, une fillette, nue, gravement brûlée, le visage tordu par la douleur. La photo fera le tour du monde et vaudra à son auteur un prix Pulitzer, la récompense la plus prestigieuse du journalisme américain.

Vendredi en fin de journée, le réseau social a finalement choisi de faire machine arrière. « Nous reconnaissons l’importance historique et mondiale de cette image », a dit un porte-parole. « Nous avons décidé de rétablir l’image sur Facebook là où nous sommes au courant qu’elle avait été retirée », a-t-il ajouté, précisant que des ajustements pourrait prendre quelques jours avant que la photo puisse être de nouveau partagée. Samedi, Facebook avait rétabli la publication de protestation de la première ministre norvégienne.

« Vous abusez de votre pouvoir »

Tout commence il y a quelques semaines, lorsqu’un écrivain norvégien partage l’image, ainsi que plusieurs autres, sur Facebook. L’image est retirée par le réseau social et l’écrivain est même temporairement banni après avoir critiqué la décision de retirer l’image.

L’Aftenposten publie ensuite la même image. Mercredi, un message de Facebook parvient au quotidien, rappelant que le réseau social « place des limites sur la nudité, afin de limiter l’exposition des différentes personnes utilisant Facebook à du contenu sensible » et lui demandant de « retirer ou de pixéliser » l’image. « Moins de vingt-quatre heures » plus tard, écrit M. Egil Hansen, Facebook a supprimé de lui-même la photo du compte du journal norvégien.

« Je vous écris cette lettre pour vous avertir que je n’obéirai pas à votre demande de retrait, écrit le rédacteur en chef. Pas aujourd’hui, ni dans le futur. Je pense que vous abusez de votre pouvoir et j’ai du mal à croire que vous y avez vraiment réfléchi. » Et de poursuivre : « Je suis fâché, déçu, et même effrayé de ce que vous êtes sur le point de faire subir à un pilier de notre société démocratique. (…) Les médias ont la responsabilité de réfléchir à ce qu’ils publient, au cas par cas. Cela peut être une lourde responsabilité. (…) Ce droit et ce devoir, que tous les journalistes du monde doivent exercer, ne devraient pas être sapés par un algorithme codé dans votre bureau californien. »

Après la publication de l’Aftenposten, la première ministre, Erna Solberg, avait soutenu la démarche du quotidien et défié Facebook en publiant, à son tour, la fameuse photo. « Ce que Facebook fait en supprimant des photos de ce type, aussi bonnes soient leurs intentions, c’est d’éditer notre histoire commune », a-t-elle écrit après avoir vu son billet supprimé. « J’espère que Facebook saisira cette occasion pour examiner sa politique rédactionnelle. »

L’entreprise a tenté de son côté de se défendre. « Si nous reconnaissons que cette photo est iconique, il est difficile de faire une distinction et d’autoriser la photo d’un enfant nu dans un cas et pas dans d’autres », a déclaré une porte-parole de Facebook.

Cette virulente charge du quotidien norvégien survient à un moment très particulier pour Facebook, dont le rapport avec l’information et les médias est au centre des attentions.

Récemment, Facebook a décidé de se séparer des humains qui sélectionnaient les sujets apparaissant dans la section montrant les informations les plus discutées sur le réseau pour confier cette tâche à des algorithmes (et qui ont déjà laissé passer une information fausse).

La politique de modération des contenus est régulièrement pointée du doigt pour sa rigidité et son incohérence, notamment en ce qui concerne la nudité.

Plus largement, le pouvoir de Facebook dans l’accès à l’information et son rôle dans la formation des idées politiques ou dans la propagation de fausses informations effraient de plus en plus. Il est reproché au réseau social d’enfermer ses utilisateurs dans une bulle en ne les exposant qu’à des idées ou à des informations dont ils se sentent déjà proches, jouant un rôle de « rédacteur en chef » qui relaierait non pas des informations pertinentes, mais celles qui sont le plus susceptibles d’être partagées.