Une souris au centre de recherche Cermep, à Bron. | PHILIPPE MERLE / AFP

C’est un fait biologique érigé en dogme depuis le XIXe siècle qui est mis à mal par des chercheurs de l’université de Bath (Royaume-Uni) et par leurs collègues de l’université de Ratisbonne (Allemagne). Ils sont parvenus à obtenir des souriceaux viables sans avoir recours à des ovocytes, des cellules sexuelles d’origine maternelle. Jusqu’ici, les biologistes étaient persuadés que la présence de ces gamètes femelles était indispensable au développement d’un embryon.

Petit rappel, pour comprendre la portée de cette expérience : la reproduction sexuée fait normalement appel à deux gamètes, l’un femelle et l’autre mâle, comportant chacun un exemplaire de chaque chromosome, qui, en fusionnant, formeront les paires de chromosomes de l’embryon.

Avant cette fusion, on parle de cellule haploïde et, après, de cellule diploïde. On croyait jusqu’ici qu’il s’agissait de la seule voie possible pour obtenir un organisme vivant. Depuis la brebis Dolly, le premier mammifère cloné en 1996, il existe bien un autre moyen de créer artificiellement un nouvel organisme, par clonage, mais, dans ce cas, son patrimoine génétique est identique à celui de l’individu dont une cellule a été utilisée.

Passage obligé

Or, Toru Suzuki et ses collègues, dont les recherches ont été publiées mardi 13 septembre sur le site de la revue Nature Communications, démontrent pour la première fois que, chez la souris, on peut obtenir un individu unique à partir d’embryons et de spermatozoïdes sans recourir à des ovocytes.

Les deux premières souris nées de cette manipulation, Phicsia et Phicsim. | Nature Communications

L’équipe de chercheurs a tenté de contourner ce qui semblait être un passage obligé de la fusion ovocyte-spermatozoïde. Dans la fécondation sexuée, cette fusion aboutit à la reprogrammation du spermatozoïde, cellule hautement différenciée, en une cellule indifférenciée, capable de se multiplier et de se différencier pour donner n’importe quel type cellulaire existant dans un organisme.

Dans ce travail expérimental, les scientifiques ont utilisé des embryons de souris à un stade très précoce, avant la première division cellulaire. Ces embryons ont subi un traitement chimique afin d’activer la division cellulaire pour qu’ils ne possèdent plus qu’un seul jeu de chromosomes et donc qu’une moitié de matériel génétique. Ils deviennent alors haploïdes et on les appelle des parthénogénotes. Chez les mammifères, ces embryons parthénogénotes ne sont pas viables.

Succès dans un quart des tentatives

Dans chacun d’entre eux, un spermatozoïde a été ensuite injecté, comme on le ferait dans une fécondation in vitro avec un ovocyte, pour apporter l’autre moitié de matériel génétique. En réimplantant ces cellules fusionnées dans des souris jouant le rôle de mères porteuses, les chercheurs ont obtenu, dans un quart des tentatives, des souriceaux apparemment en bonne santé.

Le rendement pourrait paraître faible, mais il est beaucoup plus important que celui du clonage par transfert de noyau. En effet, cette technique utilisée pour Dolly ne rencontre qu’un taux de réussite d’à peine 2 %. Quant à la technique de la parthénogenèse, c’est-à-dire par la division d’une cellule sexuelle femelle non fécondée, elle ne permet pas de développer un embryon de souris viable.

Bien que présentant des signes épigénétiques (changements dans l’activité des gènes) différents de ceux observés chez les embryons obtenus par fécondation d’un ovocyte par un spermatozoïde, les souris créées semblent en bonne santé, fertiles, et avec une espérance de vie normale. Dans le cas du clonage, les animaux, comme Dolly, étaient morts prématurément. Ce résultat constitue une surprise de taille pour les biologistes puisque l’équipe anglo-allemande a créé pour la première fois un organisme vivant en l’absence de gamète femelle.

Questionnements éthiques

« C’est un travail très intéressant de biologie fondamentale, remarque Bernard Jégou (Institut de recherche sur la santé, l’environnement et le travail, Inserm U1085, Rennes), qui bouscule ce qui apparaissait comme un dogme. L’étude a été effectuée avec une excellente méthodologie. Il faut donc la saluer. Cela étant, au-delà de l’amélioration des connaissances et d’un nouvel éclairage sur les mécanismes de la reproduction, que fera-t-on de ces résultats ? Il est bien trop tôt pour le dire. »

Outre son caractère iconoclaste, cette percée ouvre cependant la voie à des interrogations. « Cela brouille les distinctions fonctionnelles entre lignées cellulaires sexuelles, embryonnaires et somatiques [adultes] », écrivent les chercheurs dans leur article. Un communiqué de presse émanant de l’université de Bath évoque l’éventualité de partir de cette approche pour obtenir plus facilement une descendance dans des espèces animales en voie d’extinction.

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Bien évidemment, des questionnements éthiques ne manqueront pas, à la suite de cette publication. Les auteurs soulignent ainsi que l’affirmation selon laquelle les parthénogénotes n’ont pas le potentiel de se développer pour donner un individu, et qu’on peut donc y voir une source plus acceptable de cellules souches humaines qu’à partir des embryons, pourrait être remise en question. Cela supposerait que la technique qui a fonctionné chez la souris soit applicable à l’espèce humaine. Pour l’instant et au-delà des débats éthiques, rien ne permet de dire que cela serait le cas.