Où en est la parité au sein des universités, trois ans après que l’objectif en a été fixé par la loi Fioraso ? Alors que s’achève la 9e Conférence européenne sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’enseignement supérieur et la recherche, mercredi 14 septembre à Paris, Isabelle Kraus, présidente de la conférence permanente des chargés de mission égalité-diversité au sein des universités, dresse un panorama de la situation.

Selon les chiffres dévoilés mercredi sur la parité dans l’enseignement supérieur, la France se situe dans la moyenne européenne. Est-ce aussi votre impression ?

Oui. Seulement dans la moyenne. Avec 44 % de femmes parmi les maîtres de conférences, on se rapproche de la parité, mais plus on monte dans la hiérarchie, plus les écarts se creusent. Dans les universités des pays du nord de l’Europe ou d’Allemagne avec lesquelles je travaille, par exemple, le sujet a été pris beaucoup plus à bras-le-corps : ils lancent des appels d’offres et développent des programmes avec de gros moyens, notamment financiers. La différence se fait également sentir dans leur système de recrutement : il est beaucoup plus tourné vers l’international, avec des salaires attractifs et l’objectif d’attirer les femmes excellentes, pour ne pas se priver de ce potentiel.

Ces pays ont donc mis en place des dispositifs pour assurer le bien-être de leurs recrues tant sur le plan personnel – accompagnement dans la connaissance du système éducatif du pays, par exemple – que professionnel, avec le système dit des « carrières conjointes ». En effet, les hommes enseignants-chercheurs n’ont pas toujours un conjoint travaillant dans le même domaine. En revanche, les femmes sont quasi systématiquement avec un conjoint académique – 80 % d’entre elles, contre 9 % de leurs homologues masculins en Allemagne –, qu’il faut aussi faire venir dans des conditions acceptables. Cet exemple, parmi d’autres, montre que les actions en faveur de la parité bénéficient également aux hommes.

Si la parité est presque atteinte parmi les recteurs (48 % de femme, contre 23 % en 2008) ou au sein des conseils centraux d’universités, on ne compte que 16 % de femmes parmi les présidents d’université et 23 % parmi les enseignants ayant le grade de professeur. Comment l’expliquer ?

Lorsqu’il s’agit de nominations, comme dans les rectorats ou à la direction des services centraux d’universités, on peut changer la donne assez rapidement. Il suffit d’en avoir la volonté. Lorsqu’il faut se porter candidate à une promotion à un grade supérieur ou à une élection à la direction d’un UFR [unité de formation et de recherche]ou à la présidence d’une université, c’est beaucoup plus compliqué. Il est vrai que les femmes ont tendance à moins se lancer. Il y a certes une part d’autocensure : elles peuvent se juger trop durement sur leurs capacités à occuper ces postes. Mais elles ont passé les mêmes concours, très sélectifs, que leurs collègues masculins et assument les mêmes fonctions. Leur compétence n’est pas à mettre en cause.

Il y a donc d’autres explications. En effet, on ne décide pas seule : le contexte et le soutien dont on a bénéficié – ou pas – depuis plusieurs années jouent leur rôle. Pour envisager de demander à diriger un laboratoire ou un institut de recherches, il faut avoir eu, dans le passé, des signaux positifs informels dans la communauté, de la part des femmes comme des hommes. Or la perception que le corps des enseignants-chercheurs a de ses femmes reste inconsciemment biaisée. Pour une femme, on ne va pas seulement regarder son travail et la qualité de ses publications : des préjugés subsistent pour les postes à responsabilité et les évolutions de carrière dans le professorat.

Quels sont ces préjugés qui empêchent les femmes d’accéder aux postes à responsabilité ?

Même si ce n’est pas très rationnel et même si cela reste largement inconscient, une femme reste associée, par exemple, aux enfants. Soit elle n’en a pas, et alors on suppose qu’elle en aura, et qu’elle voudra s’en occuper. Soit elle en a tout en assumant ses fonctions avec compétence… mais on imagine qu’elle ne collera pas au modèle supposé de la dévotion totale à son poste de responsabilité. Là aussi, en faisant changer les choses, on apporte un bénéfice aux hommes comme aux femmes qui prennent des responsabilités.

J’observe aussi que la communauté universitaire a un souci moindre pour l’évolution des carrières des femmes. Après dix ans de carrière d’un homme maître de conférences qu’on apprécie, ses collègues s’inquiètent qu’il ne soit pas passé professeur : on se demande alors ce qu’on pourrait faire pour y remédier. Mais je n’ai jamais entendu dire : « Cette enseignante de 45 ans que l’on apprécie, elle n’est toujours pas professeure, il va falloir faire quelque chose. » J’entends plutôt : « C’est une femme, elle s’investit beaucoup dans l’enseignement et elle est très heureuse comme ça. » Ce biais inconscient sur le rôle des femmes agit même à l’université.

Comment relever, ou faire exploser, ce plafond de verre ?

C’est un problème qui a de nombreuses facettes et qui nécessite une action dans le temps et des moyens. D’abord, il faut continuer à établir des statistiques qui montrent les retards dans l’évolution des carrières, la moindre progression des femmes, etc. Les établissements, en permettant ces statistiques, mais aussi le gouvernement et le Conseil national des universités (CNU), en les rassemblant et en les publiant, permettent des prises de conscience objectives. Ce n’est pas aussi simple partout. En Allemagne, par exemple, il n’existe presque pas de statistiques fédérales sur le sujet.

Un des enjeux, ensuite, est de mettre en valeur des modèles féminins. Beaucoup de femmes manquent de référentes, alors qu’il est plus facile de se projeter dans une fonction si vous connaissez quelqu’un qui l’a assumée et qui vous en a parlé au quotidien. Cette tendance en défaveur des femmes est cependant en train de s’inverser. Il est nécessaire aussi de mettre en valeur les femmes autant que les hommes dans la communication des universités – en interne comme vis-à-vis de l’extérieur. Et ce mouvement est aussi en marche.

Et pour susciter davantage de candidatures féminines, que mettez-vous en œuvre ?

J’essaie de les accompagner pour les aider à comprendre comment on fait évoluer une carrière. Il existe des critères écrits… mais aussi des critères non explicites, dont la transmission se fait naturellement entre hommes, mais trop rarement pour les femmes. En France, la carrière universitaire se fait sur la recherche. Les femmes doivent mettre en valeur ce qu’elles font, et aussi ne pas se laisser reléguer dans des tâches qui seront moins valorisées. Je leur conseille ainsi un retour rapide à la recherche suite à leur congé de maternité ou d’adoption. Pour cela, je les incite à faire valoir ce motif, maintenant légal, pour obtenir un « congé de recherche et de conversion thématique », qui permet une décharge d’enseignement de six mois à un an ; ce qu’elles font très rarement.

La mobilisation pour la parité vous paraît-elle suffisante en France ?

Il est temps que les établissements d’enseignement supérieur admettent que l’échéance de la parité est importante. Cela ne doit plus être une variable secondaire. Les pouvoirs publics français ont mis en place de nombreux outils législatifs depuis 2012-2013 pour améliorer la situation, mais la mise en œuvre manque encore de moyens humains et financiers. La plupart des responsables « égalité » assument comme moi cette fonction en plus de leurs enseignements et de leurs recherches, et avec des décharges insuffisantes. Les universités du nord de l’Europe ont un service de quatre à cinq personnes pour appuyer les chargés de mission et mettre en place des programmes.