« Papa, je peux refaire un tour de manège ?
– Bien sûr.
– Et avoir une glace ?
– Mais oui. Tiens, en voilà même deux, et un supplément chocolat.
– 100 balles et un mars ?
– Evidemment. Voici, mon amour. Je t’ai aussi mis ma carte bleue avec mon code. Amuse-toi bien… »

Si Forza Horizon 3 était parent, il serait très mauvais, tendance papa gâteaux, maman sans autorité, et mamy poches trouées. Cela fait désormais dix heures que j’arpente les routes australiennes rugueuses de ce jeu sorti mercredi 15 septembre sur Xbox One, et je n’en peux déjà plus de cette orgie de générosité. J’ai conduit une Koenigsegg One à tombeau ouvert sur une route de côte en écoutant Dies iræ à tue-tête, sans même avoir le permis. Trouvé une Ferrari Dino 246 GT de 1969, que l’on m’a retapée sans que cela me coûte un denier. Pour un tiers du prix de ma trottinette – le tarif du jeu – j’ai déjà un garage rempli d’une vingtaine de modèles de collection que tout mon arbre généalogique réuni ne pourra jamais se payer. Je suis pourri, gâté, traité comme un enfant roi par un jeu de simulation.

Forza Horizon 3 Official E3 Trailer
Durée : 01:54

Comme tous les sales mômes, je n’en fais qu’à ma tête. Je roule à contresens – à peine volontairement, en Australie les voitures roulent à gauche –, me précipite, tout pare-chocs sorti, contre mes vis-à-vis. Avec quels risques ? Aucun : mes bolides sont incassables, et j’ai même été récompensé de quelques points de carambolage. J’évite une voiture ? « Frôlement génial », des sous rentrent dans ma caisse. Je la touche ? « Echange de peinture », un petit billet s’ajoute quand même. Le monde de Forza Horizon 3 ne tourne pas rond : les routes les plus dangereuses sont dénuées de toute limitation de vitesse, les radars automatiques mesurent les records, les rues sont vides de piétons, les routes de toute voiture de police.

« Tiens, voilà l’Australie, elle est à toi, fais-en ce que tu veux. » Voilà le seul message que semble répéter Forza Horizon 3, cette simulation automobile papa poule et ultra-permissive, qui a extrait toutes les contrariétés du monde réel pour ne garder que le meilleur. Dès la scène d’introduction sur fond de soleil couchant, dès les premières notes entraînantes, dès les premières paroles – « take me away » – le jeu de Turn 10 se présente comme un hymne à l’évasion, vrombissant, musical et permissif.

Sa philosophie si particulière, si contraire à l’habituel parti pris sportif et compétitif du genre, s’exprime dès la première prise de volant par un détail significatif : l’absence de chronomètre. Bien sûr, de multiples épreuves le réintroduiront, ainsi que des concurrents, une grille de départ, des points de championnat. Mais rien n’oblige à les suivre.

Hypnose de la route

Pris pour lui-même, Forza Horizon 3 est ce jeu de course qui ne vous reprochera jamais d’être en retard ; ni d’avoir raté un virage, ni même d’avoir abîmé votre dernière acquisition haut de gamme. Flânez, roulez, dérapez, sortez de route si vous le voulez : chef-d’œuvre de massage narcissique, le jeu vous pardonne tout, vous félicite pour ce que vous cassez, vous offre des récompenses pour vos expérimentations. Et quand votre imagination manque, c’est lui qui vient à votre rescousse, vous suggérant autant d’activités aussi improbables que goûtues – traverser une plage en buggy, partir en dérapages sans fin dans les rues nocturnes de Surfers Paradise, poursuivre un hélicoptère, faire la course avec un train, conduire une classique des années 1930, ou un véhicule tout-terrain futuriste tout droit sorti de la série Halo.

Alors, on se prend au jeu. On règle la radio en fonction de ses goûts musicaux – drum’n bass, classique, électro australienne, hip-hop ou encore rock indépendant – et on roule. On roule comme on s’enivre, sans but, sans fin, dans la délectation de sentir les inhibiteurs s’envoler ; on roule jusqu’à l’hypnose, jusqu’à devenir voiture, jusqu’à devenir bitume, jusqu’à ne plus faire qu’un avec ce paysage grandiose et sinueux, où les sous-bois humides succèdent à l’arrière-pays aride et aux cotes paradisiaques. Là, porté par Justice, de la disco lounge ou la Neuvième de Beethoven, la caméra placée sur le capot, les yeux à ras du sol, dans cette petite transe cinétique, le joueur et l’Australie semblent ne plus faire qu’un.

Forza Horizon 3. | Microsoft

Forza Horizon 3, tu m’élèves mal. Comment veux-tu ensuite revenir à la vraie vie ? As-tu imaginé la violence, pour le joueur, qui après avoir goûté aux joies interdites de la toute puissance automobile, descend au courrier et trouve un rappel d’impôts ? Qui reçoit un SMS de son patron à 23 heures ? Ou comble du retour à la réalité, qui trouve le lendemain une fiente de pigeon sur sa vieille Twingo d’occasion ?

Peut-être est-ce la raison pour laquelle le jeu de Turn 10 s’autorise quelques très rares faiblesses. Des voitures concurrentes au comportement froid et robotique. Des carambolages statiques et peu crédibles. Une végétation capricieuse, qui tantôt craque volontiers au passage du pare-chocs du joueur, tantôt l’arrête sec. Quelques discrets soucis d’affichage tardif des détails du décor, presque pour rappeler qu’aussi enivrante soit-elle, cette Australie-là n’est rien d’autre qu’un code informatique.

Mais qu’importe. Tu me gâtes trop, Forza Horizon 3, c’est vrai. Comme une carte illimitée à la Foire du Trône, comme une dégustation offerte de grands crus, comme une tape sur l’épaule amicale d’un inconnu bienveillant. Tu en fais trop. Beaucoup trop. Mais quand même, qu’est-ce que c’est bon.

L’avis de Pixels

On a aimé :

  • L’ivresse du dépaysement
  • Parcourir la richesse du patrimoine automobile
  • Le « kamasutra » d’expériences automobiles
  • L’art qu’a le jeu de mettre le joueur à son aise
  • L’insolente variété des situations

On n’a pas aimé :

  • L’intelligence artificielle quelconque
  • Les collisions façon petites voitures
  • Quitte à être aussi généreux, le jeu aurait pu pousser jusqu’à être gratuit

C’est plutôt pour vous si :

  • Vous vous fichez de la F1 et des simulations automobiles classiques
  • Vous aimez, plus que la course, le plaisir de la conduite et de la balade
  • Le mot de passe de votre boîte mail est « Outrun »

Ce n’est pas pour vous si :

  • Vous n’avez pas de console Xbox One
  • Vous être autophobique depuis que vous avez lu Christine de Stephen King

La note de Pixels :

Le pied/l’accélérateur