Le président français de l’époque Nicolas Sarkozy accueille le chef de l’Etat libyen Mouammar Kadhafi au palais de l’Elysée à Paris, le 10 décembre 2007. | ERIC FEFERBERG / AFP

L’ancien président français, Nicolas Sarkozy, a pris la décision d’intervenir en Libye en 2011 dans le but, entre autres, d’« accroître l’influence française en Afrique du Nord » et d’« améliorer sa situation politique en France ». C’est ce qu’affirme un document de la commission des affaires étrangères du Parlement britannique rendu public mercredi 14 septembre.

Le rapport met en cause le processus de décision qui a transformé une intervention censée venir en aide à des civils, à Benghazi, menacés par la répression du colonel Mouammar Kadhafi – une menace « surestimée », affirment les députés –, en une opération visant le régime.

Le texte, cinglant, reproche également au premier ministre britannique de l’époque, David Cameron, d’être le « responsable final » de l’échec de l’intervention militaire aérienne qui a conduit à la chute de Kadhafi et à la guerre civile, dont les islamistes ont tiré profit dans toute l’Afrique du Nord. M. Cameron, accuse le texte, a manqué d’une « stratégie cohérente ».

« Intérêt politique personnel du président Sarkozy »

Mais la décision d’intervenir en Libye a été prise en application d’une résolution des Nations unies (ONU) dont l’élan pour le vote, notent les députés de Westminster, « est parti de France ». Plus précisément, le document cite une conversation entre des responsables des services secrets français et la secrétaire d’Etat américaine d’alors, Hillary Clinton.

Rapportés par Sidney Blumenthal, conseiller de Mme Clinton, les objectifs du président français sont de cinq ordres : « Le souhait d’obtenir une plus grande part de la production de pétrole libyenne » ; celui d’« accroître l’influence française en Afrique du Nord » ; de « permettre aux armées françaises de réaffirmer leur position dans le monde » ; de « répondre aux (…) projets de Kadhafi de supplanter la France en Afrique francophone » et, enfin, la volonté d’« améliorer sa situation politique en France ».

Les parlementaires britanniques mettent les points sur les « i » : « Quatre de ces cinq facteurs correspondaient à l’intérêt de la France. Le cinquième représentait l’intérêt politique personnel du président Sarkozy. » Le rapport évoque « les possibles gains électoraux » attendus par M. Sarkozy un an avant la présidentielle de 2012, dans une attitude proactive en Méditerranée censée répondre aux préoccupations des électeurs en matière d’immigration.

Le rapport britannique cite aussi Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy.

Alain Juppé, alors ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, n’est pas oublié dans le rapport britannique, qui cite sa présentation alarmiste de la situation en Libye lors d’un discours au Conseil de sécurité de l’ONU en faveur de la résolution prônant l’intervention. « La situation sur le terrain est plus alarmante que jamais », avait alors déclaré M. Juppé, qui avait ajouté : « Il nous reste très peu de temps, c’est peut-être une question d’heures. »

Le document évoque aussi la pression « des Libyens exilés en France disposant d’alliés au sein de l’establishment intellectuel français ».

Les leçons de l’Irak ignorées

Interrogé mercredi matin à la BBC, Crispin Blunt, président (conservateur) de la commission des affaires étrangères des Communes, a estimé : « Nous avons été entraînés à intervenir par l’enthousiasme des Français » pour protéger la population de Benghazi alors que la menace avait été « nettement exagérée ».

Selon la commission, « des solutions politiques » auraient été envisageables après que la protection de Benghazi avait été assurée. L’ancien premier ministre, Tony Blair, avait lui-même appelé Mouammar Kadhafi pour envisager la suite. Mais, déplorent les députés, « le gouvernement britannique était exclusivement focalisé sur une intervention militaire ».

Au Royaume-Uni, le document de 49 pages fait écho au rapport Chilcot, publié le 6 juillet et qui accablait Tony Blair sur les conditions de l’engagement du pays en Irak aux côtés des Etats-Unis en 2003, qui a laissé un profond traumatisme dans l’opinion britannique. Les leçons de l’Irak ont été ignorées, estiment en substance les élus.

Le résultat de l’intervention des Français, des Britanniques et des Américains est, selon le document, « un effondrement politique et économique, des affrontements entre milices et tribus, des crises humanitaires et migratoires, des violations des droits de l’homme à grande échelle, la dissémination des armes du régime de Kadhafi dans toute la région et l’expansion de l’[organisation] Etat islamique en Afrique du Nord ».