Cours préparatoire pour sportifs de haut niveau à Sciences Po, le 13 septembre. | Eric Nunès

C’est jour de la rentrée à Sciences Po Paris, mardi 13 septembre, et pourtant deux élèves manquent à l’appel en salle 004. Y aurait-il du relâchement au sein de la prestigieuse école de la rue Saint-Guillaume ? Non. Les deux élèves qui ne suivront pas le cours sur les grands courants de pensée en économie sont excusés. Ils profitent du soleil du Brésil mais, surtout, défendent le drapeau tricolore aux Jeux paralympiques de Rio.

Michaël Jeremiasz, champion paralympique de tennis à Londres, et son compère, Stéphane Houdet, médaillé olympique à Rio, sont actuellement en lice. Leurs onze camarades réunis salle 004 sont skieurs, handballeurs ou escrimeurs et appartiennent, comme eux, à la classe des sportifs de haut niveau de Sciences Po. Tous viennent suivre un enseignement sur mesure.

Depuis la création de cette formation, en 2007, cent vingt-cinq sportifs sont passés par les salles de classe de Sciences Po. Jean-Claude Legal, directeur du programme, se félicite notamment des réussites d’Arnaud Di Pasquale, devenu directeur technique national du tennis français, de Julien Tchoryk, ancien badiste aujourd’hui chef d’entreprise. Clés du succès : « Souplesse et adaptabilité, explique M. Legal. Intégrer des sportifs de haut niveau et leur accorder toutes leurs chances, c’est intégrer qu’ils sont des sportifs qui font des études et non pas des étudiants qui font du sport. »

Se hisser du niveau bac au master

C’est sous l’impulsion – et grâce au financement – de Team Lagardère, que Sciences Po crée ce « certificat préparatoire ». Dissoute depuis, cette structure de sport professionnel espère alors recruter des athlètes de premier plan. S’adosser à un établissement supérieur de prestige comme Sciences Po constituait un atout pour attirer les médaillés à la recherche d’une reconversion.

L’école de la rue Saint-Guillaume, dans le 7arrondissement de Paris, invente donc ce certificat préparatoire ; une passerelle qui permet ensuite de rejoindre un cursus classique. Les candidats sont admis avec un niveau bac. La première phase d’intégration consiste en l’acquisition d’un socle culturel fondamental, notamment en sciences sociales. Puis les étudiants peuvent suivre un second programme destiné à accéder, sur concours, à un master de Science Po. Une fois admis, ils intègrent un cursus classique, sans bénéficier d’aménagement particulier.

Michaël Jeremiasz, champion de tennis, porteur du drapeau de la délégation française aux Jeux paralympiques 2016. | JACQUES DEMARTHON / AFP

En attendant, ils jonglent entre une trentaine d’heures d’entraînement par semaine, des compétitions le week-end, souvent loin de Paris et même de France. Dans ces conditions, l’assiduité n’est pas exigée. La formation à distance est privilégiée. Chaque étudiant se voit attribuer un tuteur qui, régulièrement, fait un point sur les compétences acquises et réalise des rappels d’objectifs lorsque c’est nécessaire. Quant aux matières qui doivent être acquises en présence de l’élève, les cours sont programmés lors de trimestres différents, pour que chaque athlète, en fonction de ses obligations sportives, puisse suivre ce programme de dix mois en deux ou trois ans.

Si les tennismen en chaise sont toujours à Rio, Laurie Berthon, 25 ans, a quitté la Brésil et rangé son vélo. Après une dixième place à l’omnium en course sur piste, la vice-championne du monde se fixe encore une olympiade avant de prendre sa retraite sportive. Les jeux de Tokyo auront lieu dans quatre ans, et elle a décidé de suivre la formation proposée par Science Po avec l’objectif d’améliorer ses compétences académiques, de dresser un bilan de ses connaissances avant de se réinvestir pour une dernière campagne olympique.

Préparer « l’après »

Comme Teddy Riner, de la promo 2011, Mewen Ferey-Mondésir, également judoka, a intégré la formation qu’il estime « faite sur mesure » pour s’adapter à son emploi du temps de compétiteur : « Nous sommes responsabilisés sur le travail que nous nous sommes engagés à réaliser et, parallèlement, réellement suivis. »

Les années passées dans le microcosme du sport de haut niveau peuvent se révéler infantilisantes : les athlètes sont en effet suivis quotidiennement par leur entraîneur. Musculation, assouplissement, technique, alimentation, sommeil… tout est observé, mesuré, analysé. Pour ces athlètes, la reprise des études est souvent la marque d’une volonté d’indépendance, parfois mal vécue par leur entraîneur. « On vise également l’acquisition de connaissances culturelles et l’amélioration de notre expression orale », précise Gabriela Gomez, 31 ans, danseuse. Avec, toujours, le même objectif : préparer l’après.

La majorité des sports ne garantit pas une retraite financière aux athlètes une fois les crampons, vélos ou fleuret raccrochés. Mais certaines fédérations y sont plus sensibles que d’autres. « La Fédération française d’escrime fait partie des bons élèves, note Jean-Claude Legal. Les encadrants sont à l’écoute des doubles formations que les écoles peuvent fournir. » Jean-Paul Tony Helissey, médaillé d’argent à Rio en fleuret par équipe, a ainsi pu rejoindre un master 2 à l’ESCP-Europe. Cette école de management accueille des sportifs de haut niveau en master, mais à condition qu’ils soient titulaires d’un bac + 3 et réussissent le concours d’admission des étudiants étrangers. Stéphane Diagana, champion du monde du 400 mètres haies en 1997, fait également partie des diplômés.

Autres grandes écoles à accueillir des athlètes de haut niveau : Grenoble Ecole de management, l’INSA Lyon, l’INP de Grenoble, le Pôle universitaire Léonard-de-Vinci. « Ces jeunes hommes et jeunes femmes ont des qualités qu’on ne soupçonne pas. A Sciences Po, lorsqu’ils atteindront la classe de master, ils côtoieront des élèves qui ont été des premiers de la classe toute leur vie. Mais eux, dans leur spécialité, ils ont été numéro un français, européen, voire du monde », souligne M. Legal. « La discipline, la rigueur, l’intensité dans le travail. Je connais et c’est un atout », affirme le judoka Mewen Ferey-Mondesir. « Ainsi que la persévérance, l’abnégation », ajoute Jonas Fabre, skieur alpin. Prêts à en découdre pour être toujours premiers.