Vitorino Fabiao, 19 ans, a été kidnappé un dimanche de janvier. « Un ami l’a appelé pour lui proposer une recharge téléphonique au marché. Il y est allé et on ne l’a plus jamais revu », explique sa sœur, qui habite en périphérie de Tete, dans l’ouest du Mozambique. Autour d’elle, la famille se masse dans la cour en terre battue. Les mines sont déconfites. Vitorino était atteint d’albinisme, une maladie génétique héréditaire qui se traduit par une absence de pigmentation de la peau. Il a très certainement été tué pour que les membres de son corps soient revendus à prix d’or et utilisés en sorcellerie.

« Vitorino avait entendu les rumeurs, il se méfiait, mais il se faisait toujours payer des coups. Ce qu’il ne savait pas c’est que les autres étaient en train de l’étudier », poursuit sa sœur, un bébé dans les bras. La femme de l’ami qui l’avait appelé a témoigné avoir vu son mari rentrer le pantalon couvert de sang. De chèvre, comme il lui aurait alors affirmé. Des voisins ont ensuite vu un gros 4 × 4 bleu repartir de chez eux. La police n’a jamais retrouvé personne après le départ de la voiture. Une chose est sûre : mort ou vivant, Vitorino est loin d’ici.

Kidnappings et meurtres

Entre 20 000 et 30 000 personnes atteintes d’albinisme vivent au Mozambique. La première cause de mortalité chez eux est le cancer de la peau. Seulement 2 % des personnes atteintes d’albinisme vivent au-delà de 40 ans, les crèmes solaires et les traitements pour le cancer étant difficilement accessibles dans ce pays d’Afrique australe.

Au Mozambique, la chasse aux albinos est un phénomène nouveau. Depuis décembre 2015, six cas de kidnappings ont été rapportés, essentiellement des mineurs. Aucun n’a jamais été retrouvé. Le plus souvent, la famille est impliquée dans le rapt, en pensant, à tort, pouvoir gagner des « milliards de meticals », la monnaie locale. D’après la croyance populaire, les membres des corps des albinos, utilisés en magie noire, peuvent apporter bonheur et pouvoir.

« Avant, nous étions victimes de discriminations mais maintenant nous avons vraiment peur », explique Cesaria Chazia, la responsable de l’association Amor à Vida, pour la protection des albinos. « Quand on marche dans la rue, on entend les gens dire : “Voilà ma bourse, voilà l’argent”, ajoute la jeune femme, coiffée d’un grand chapeau. Ce ne sont plus des blagues : avec l’état actuel de l’économie, les gens sont prêts à tout. »

RDC : les albinos en quête de reconnaissance
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Si le trafic d’organes d’êtres humains est monnaie courante au Mozambique, la persécution des albinos semble importée des pays voisins. Les attaques se concentrent dans la moitié nord et sont plus fréquentes près des frontières. Tete n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres du Malawi. « Il est faux de dire que nous, les guérisseurs traditionnels, ordonnons le meurtre d’albinos pour retirer leurs membres, s’offusque Lucas Wisse, responsable d’une association de médecine traditionnelle. Nous, les Mozambicains, n’avons pas cette habitude. Ce sont les étrangers, de Tanzanie, de Zambie, et du Malawi, qui ordonnent ces crimes. »

Réseaux transfrontaliers

Les ONG évoquent une centaine d’attaques au Mozambique depuis 2014, sans qu’aucune donnée corroborée par les autorités soit disponible pour l’instant. « Nous pensons que les mandataires opèrent dans le cadre d’un réseau transfrontalier secret mais puissant, similaire à celui des barons de la drogue. Mais à ce jour, aucun d’entre eux n’a été arrêté ou poursuivi et les réseaux présumés n’ont pas encore été identifiés », a déclaré à Maputo, vendredi 2 septembre, Ikponwosa Ero, l’experte des Nations unies pour les droits des personnes atteintes d’albinisme.

Selon l’ONU, 76 albinos ont été tués en Tanzanie depuis 2000, plus que n’importe où ailleurs en Afrique. Leurs membres peuvent être revendus aux alentours de 530 euros. Un corps entier se négocie aux environs de 66 000 euros, selon les experts de l’ONU.

S’il est probable que les organisateurs proviennent de l’extérieur du Mozambique, « il n’y a pas suffisamment de preuves pour justifier cette affirmation », a insisté Ikponwosa Ero, nigériane elle-même atteinte d’albinisme, qui appelle de ses vœux des investigations poussées.