L'ancienne première secrétaire du PS a fustigé les outrances sécuritaires du candidat Sarkozy et a rappelé son bilan en matière de dette publique. | DAVID PAUWELS POUR "LE MONDE"

« Moi, je dis ce que je veux. » Martine Aubry a prévenu, samedi 17 septembre, depuis ses terres lilloises : d’ici à la présidentielle, elle distribuera les bons et les mauvais points au sein de son propre camp. L’ancienne première secrétaire du PS est sortie de son silence à l’occasion de la première « université de l’engagement » organisée en région par la rue de Solférino pour remplacer l’université d’été de Nantes annulée fin août.

Sur place, dans cette fédération du Nord traumatisée par le sabordage contraint du PS pour éviter une victoire du Front national aux élections régionales de décembre 2015, l’événement est à l’image de l’état du parti en cette fin du quinquennat : peu mobilisateur et refermé sur lui-même. Dans la journée, les ateliers thématiques où interviennent différents membres du gouvernement sont fermés à la presse; et le meeting de clôture, monté dans la salle communale du Parc, réunit quelque 300 militants massés au centre de l’immense gymnase et cernés par des tribunes vides. Il est loin le temps où Martine Aubry, alors patronne des socialistes, rêvait d’« ouvrir les portes et les fenêtres » du PS...

Ceux qui espéraient que la maire de Lille dise samedi sa préférence pour un candidat à la future primaire de janvier, ont été déçus. « Ce n’est pas le temps des soutiens, mais celui des idées et des projets », a-t-elle prévenu. Certes, l’ancienne candidate à la primaire de 2011 n’a « pas envie de vivre un nouveau 21 avril » et regrette « les candidatures qui se multiplient », mais il est trop tôt pour qu’elle donne un nom.

François Hollande plutôt épargné

Pas question pour elle de confirmer qu’elle s’apprête à soutenir François Hollande, alors que plusieurs proches du chef de l’Etat et plusieurs dirigeants socialistes font état, en privé, d’un rapprochement entre les anciens adversaires de 2011. « À ceux qui parlent au nom des autres et en mon nom, je dis ’’mettez-vous au boulot les gars, il reste beaucoup à faire!’’ », a lancé Martine Aubry.

Il n’empêche, le président de la République a été plutôt épargné par les flèches de la maire de Lille pendant son discours d’une trentaine de minutes. Martine Aubry a notamment salué « le courage de François Hollande » pour avoir engagé l’armée française « au Mali, en Syrie et en Irak ». Par ailleurs, « le président de la République, le gouvernement et le ministre de l’intérieur ont su relever le défi terroriste, en maintenant l’autorité de l’Etat tout en préservant les libertés publiques ».

Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS et Martine Aubry, Maire de Lille, entrent dans la grande salle du meeting qu'ils vont tenir ensemble. | DAVID PAUWELS POUR "LE MONDE"

Au chapitre régalien, rien à redire donc contre le chef de l’Etat. En revanche, « la déchéance de nationalité a été une profonde erreur », a répété Martine Aubry. Sans surprise, elle a également rappelé ses divergences avec la politique économique de l’exécutif. « Je ne vais pas rouvrir le débat, mais on aurait pu faire mieux sur le chômage », a-t-elle déclaré, regrettant les 40 milliards d’euros accordés « sans contreparties » aux entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité, alors qu’une partie aurait été « mieux utilisée pour relancer l’investissement et le pouvoir d’achat ». La critique est là, mais le ton est nettement moins cinglant que dans la tribune - « Trop, c’est trop! » - que la dirigeante socialiste avait publiée dans Le Monde du 25 février.

En gardienne du temple socialiste

Si elle préserve François Hollande, Martine Aubry ne retient pas ses coups contre ses deux têtes de turc à gauche, Manuel Valls et Emmanuel Macron. « Certains parlent de deux gauches irréconciliables, mais moi je ne les ai jamais rencontrées. Moi ça me choque, ça me blesse quand on dit cela, moi je serai toujours inlassablement une militante du rassemblement de la gauche », déclare-t-elle sous les applaudissements, en direction du premier ministre dont elle ne cite jamais le nom. L’ancien ministre de l’économie, lui, a droit à un « Macron » sec et militaire. « Je voudrais dire à Macron que la modernité, ce n’est pas de casser les protections des salariés, mais d’en inventer de nouvelles », lâche-t-elle.

Dans son discours, la Maire de Lille et ex-première secrétaire du PS a défendu les mesures gouvernementales. | DAVID PAUWELS POUR "LE MONDE"

François Hollande est prévenu : s’il veut, dans les prochains mois, obtenir le ralliement de Martine Aubry, il va devoir donner des preuves d’amour. « Ce n’est pas à moi d’ouvrir le projet » du candidat à la présidentielle, explique la maire de Lille, mais elle entend quand même y glisser plusieurs doléances. « Il faudra avoir un débat sur la croissance », liste-t-elle, évoquant « une relance de l’investissement public et privé » et le recours à des « emplois aidés si nécessaire ». « Il faudra faire la réforme fiscale », ajoute-t-elle, réactivant la promesse de 2012 d’une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Surtout, « à rebours de la loi El Khomri et du travail du dimanche, la protection des salariés doit redevenir un fil rouge des socialistes », prévient-elle. Si le chef de l’Etat veut son soutien, il devra en somme promettre en 2017 tout l’inverse de ce qu’il a fait depuis 2012 en matière économique et sociale.

A huit mois de la présidentielle, la maire de Lille se pose donc en gardienne du temple socialiste. Quand plusieurs au gouvernement, Manuel Valls le premier, rêvent d’une recomposition de la gauche vers le centre, elle répond que « l’avenir de la gauche est à gauche ». Une manière pour elle de préparer déjà l’après 2017, anticipant la bataille idéologique entre socialistes qui s’annonce. Samedi, à Lomme, Martine Aubry a usé en somme du dernier pouvoir qui lui reste au PS : un pouvoir de dissuasion.