Depuis quelques jours, le visage souriant d’une inconnue, une grande et belle femme brune de 31 ans, a envahi les écrans et les pages des journaux italiens. Mardi 13 septembre, à Mugnano, près de Naples, Tiziana Cantone s’est pendue dans la maison de sa mère, un an et demi après la diffusion sur des sites pornographiques de vidéos dans lesquelles elle apparaissait.

Par bravade ou par inconscience, en avril 2015, elle avait accepté de se prêter au jeu de vidéos très explicites en compagnie de plusieurs hommes, aussitôt envoyées via la messagerie WhatsApp à quatre « amis » qu’elle jugeait de confiance. L’un d’eux, au moins, aura trahi : très vite, ces images, qui auraient dû rester privées, circulent sur les réseaux sociaux, avant d’atterrir sur des sites pornographiques. Tiziana Cantone y est très reconnaissable. Pire, son nom et son prénom accompagnent souvent les images.

20 000 euros à payer en frais de justice

En quelques jours, sa vie bascule. Reconnue dans la rue, moquée sur les réseaux sociaux pour une phrase d’encouragement lancée à la caméra (« Tu es en train de filmer ? Bravo ! ») qui finira même inscrite sur des tee-shirts, elle s’isole. Elle change d’identité, de région, en vain. Se lance surtout dans un combat désespéré pour faire disparaître les images.

La première dénonciation au procureur remonte à mai 2015. Elle est suivie d’autres requêtes, au nom du respect de la vie privée et du droit à l’oubli. Les juges lui donnent raison contre Facebook, condamné à faire disparaître des liens et des images mis en ligne sur le réseau social, mais avaient rejeté ses demandes contre Google, Yahoo! Italia et YouTube, à qui elle devait même rembourser près de 20 000 euros de frais de justice. Pour ses proches, cette injustice supplémentaire aura eu raison de ses dernières forces.

Enquête pour « incitation au suicide »

La mort de Tiziana Cantone, puis la découverte du drame qu’elle a vécu, ont provoqué une vague d’émotion et d’indignation dans le pays, d’autant plus forte qu’elle s’ajoute aux nombreuses affaires de féminicides qui ont bouleversé les Italiens ces derniers mois. Sur Facebook, la ministre des réformes constitutionnelles et des relations avec le Parlement, Marina Boschi (Parti démocrate, centre gauche), a renvoyé son calvaire au machisme et aux « siècles de violences exercées sur les femmes ». Comme pour lui donner raison, plusieurs personnalités politiques et artistiques, comme le photographe Oliviero Toscani, ont mis publiquement en doute la complète innocence de Tiziana Cantone : « Cette jeune femme savait ce qu’elle faisait… »

Depuis mardi, les appels à renforcer au plus vite les dispositifs de protection de la vie privée sur Internet se multiplient. Mardi, la procureure d’Aversa-Napoli Nord a ouvert une enquête pour « incitation au suicide ». Les images de la sortie des obsèques de la jeune femme, jeudi soir, faisaient l’ouverture de tous les journaux télévisés. A la demande des proches, les fenêtres de l’église de Casalnuovo di Napolitano avaient été occultées, pour qu’aucune image de la cérémonie filtre, et que Tiziana Cantone ait droit, au moins, à des adieux dans l’intimité.

Cet article est le premier de Jérôme Gautheret en tant que correspondant en Italie.