Par Olivier Babeau, professeur d’économie

Dans une tribune publiée dans Le Monde daté du 14 septembre, Mathieu Gallet, actuel dirigeant de Radio France, prend la plume pour critiquer l’étude que nous avons publiée pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), « Refonder l’audiovisuel public », la qualifiant d’« invraisemblable ». Ce qui ne paraît, hélas, que trop « vraisemblable » est l’attitude d’une classe dirigeante refusant d’admettre que l’audiovisuel public a besoin d’une remise à plat. Qu’il nous soit permis de défendre notre point de vue afin d’éviter en particulier toute déformation.

L’audiovisuel public fait partie de ces monuments auxquels on ne touche jamais sans provoquer de vives réactions. Sa légitimité étant supposée indiscutable, il est au mieux décrit comme devant « se réinventer », « faire face à des défis », sans que la question de la justification même de l’intervention publique en ce domaine ne soit posée. Nous proposons d’appliquer à l’audiovisuel public le principe de subsidiarité, affirmant, comme l’écrivait Frédéric Bastiat, qu’« il est raisonnable de ne confier à la fonction publique que ce que l’activité privée ne peut absolument pas accomplir ». Patrice Duhamel ne disait finalement rien d’autre quand il déclarait en 2007 : « Si la télévision publique fait ce que font les télévisions commerciales à travers le monde, ce n’est pas la peine que ce soient des télévisions publiques. »

Plus personne n’a besoin de l’Etat pour se divertir

Si la justification originelle de l’audiovisuel public n’est pas la démocratisation de la culture mais le contrôle de l’information, elle évolue dès 1953 vers le fameux triptyque « divertir, informer, cultiver » qui en reste encore aujourd’hui le pilier. Or, que constatons-nous ? D’abord, que plus personne n’a besoin de l’Etat pour se divertir. La concurrence avec le secteur privé en ce domaine n’est pas seulement injuste (car elle oppose un acteur aux revenus garantis à des acteurs dépendants entièrement de la publicité), elle est aussi collectivement coûteuse : en 2015, France Télévisions a par exemple renchéri sur les offres des acteurs privés français pour l’achat des droits du catalogue d’Universal. Le groupe contribue aussi à l’inflation des salaires des animateurs dont il se dispute le recrutement avec les autres chaînes, et à celle des droits sportifs !

L’existence d’organes publics d’information peut être justifiée par la nécessité du pluralisme. Maintenir une voix qui soit, par construction, suffisamment libre de tout intérêt économique pour disposer d’une liberté de parole qui risque de ne pas être présente dans des organes possédés par des intérêts privés paraît utile. Ces derniers, symétriquement, disposent aussi d’une liberté de parole sur d’autres sujets, regardant l’Etat et le fonctionnement politique, qui n’est pas moins précieuse.

Le rêve de Malraux

L’audiovisuel public doit à notre sens être radicalement rebâti sur le troisième élément, celui de la culture, qui en constitue le vrai cœur. Le rêve de Malraux était de créer les conditions d’une démocratisation de la culture savante. Un dessein qui n’est jamais devenu réalité, comme l’ont souligné maintes études et rapports. Tiraillés entre l’obligation d’élargir les publics et celle de maintenir l’exigence culturelle des contenus, les canaux généralistes de l’audiovisuel public ont le plus souvent sacrifié la seconde au profit de la première. Soumise à des objectifs d’audience, France 2 a en réalité totalement abandonné l’objectif initial de diffusion de la culture « exigeante », au mieux hypocritement reléguée au milieu de la nuit.

Nous proposons donc, en plus de la préservation d’un média d’information radio et TV, un recentrage radical des moyens de l’audiovisuel public vers la production et la diffusion de contenus culturels, à l’exclusion donc de tous les contenus qui peuvent être pris en charge par le marché, et sans que l’audience ne constitue un objectif opposable.

L’audiovisuel public doit être réorganisé autour d’une structure beaucoup plus légère, totalement indépendante du politique et des idéologies. Des dirigeants nommés pour un mandat long, inamovibles, auraient la charge d’orchestrer la sélection et le travail de producteurs privés. Des procédures très strictes seraient mises en place pour éviter tout favoritisme ou clientélisme.

Il est temps d’ouvrir un vrai débat

Ce qui est en jeu, c’est la capacité des contenus audiovisuels impulsés par la puissance publique à apporter une valeur ajoutée dans le monde numérique qui naît. La consommation d’images de demain sera avant tout à la demande et bien peu « linéaire » (suivant un programme imposé), et le nombre de canaux accessibles sera virtuellement infini. Le bénéfice de l’habitude qui fait choisir les chaînes historiques ne jouera plus. S’ils n’ont pas leur identité propre, les contenus publics ne pourront tisser aucune des « références communes » célébrées par M. Gallet ; elles seront simplement d’anecdotiques productions que les Français financeront par obligation mais auxquelles ils ne prêteront pas attention. En concentrant les moyens sur des œuvres qui n’auront pas d’équivalent dans les catalogues privés, il est possible de donner à cette production audiovisuelle une identité forte qui sera saluée dans le monde entier et permettra à la culture française de rayonner plus que jamais.

Il n’est pas possible de balayer ces propositions sur l’air de Tout va très bien Madame la marquise, sur celui, plus connu encore, de « plus de moyens et ça ira encore mieux », ou même au nom d’une prétendue capacité de l’audiovisuel public actuel à « lutter contre les extrémismes » (sic). Il est temps d’ouvrir un vrai débat sur ce sujet qui ne soit pas réservé aux professionnels du secteur vivant par définition du système et peu susceptibles de scier la branche sur laquelle ils sont assis, ou aux politiques trop soucieux de contrôler ou de ménager les médias.

Olivier Babeau est professeur d’économie à l’université de Bordeaux. Il a publié, le 5 septembre, « Refonder l’audiovisuel public », note pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)