La police a fermé une partie du quartier des Halles, à Paris, durant plusieurs dizaines de minutes, samedi 17 septembre. | PHILIPPE WOJAZER / REUTERS

De la mauvaise blague à la panique générale. Le quartier des Halles, dans le centre de Paris, a été bouclé durant plusieurs dizaines de minutes par les forces de police, samedi 17 septembre, en milieu d’après-midi, pour une prétendue prise d’otage à l’église Saint-Leu. L’application gouvernementale SAIP a même émis une alerte attentat à l’attention de la population francilienne. L’hypothèse d’un canular est aujourd’hui privilégiée.

Selon une source citée par l’AFP, un appel téléphonique à 15 h 39, décrit aujourd’hui comme « une fausse alerte malveillante », est à l’origine de l’intervention policière. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « dénonciation de crime imaginaire » et « divulgation de fausses informations afin de faire croire à une destruction dangereuse ». Selon l’article 322-14 alinéa 2 du code pénal, le délit de fausse alerte est passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Aucune interpellation n’a encore eu lieu.

« On a fait ça pour le buzz »

Deux mineurs se sont d’ores et déjà attribué le canular : Zakhaev Yamaha, selon son pseudonyme sur Facebook, avant que son compte ne soit désactivé, s’en était vanté pendant le week-end, en publiant par exemple une vidéo du quartier bouclé ou un article de presse commenté d’un « Putain, on est trop fort les mecs ! » ou d’un « J’kif ».

Contacté dimanche par Le Monde grâce à la messagerie instantanée de Facebook, il expliquait avoir agi sans réelle préméditation : « Le matin du jour de cet appel, une idée nous est arrivée », dit-il. Son objectif : « Buzzer et prouver l’incapacité des personnes qui répondent au téléphone, qui savent pas faire un contre-appel. »

En effet, d’après Zakhaev Yamaha, lui et son acolyte sont passés par une « plate-forme qui n’accepte pas les appels » et un simple rappel des services de police au même numéro les aurait mis en échec, « et l’intervention n’aurait jamais eu lieu ». Interrogé par L’Obs, Tylers Swatting, son complice présumé, affirme avoir agi pour le « buzz ». Précisant : « Si les gens ont eu peur, c’est leur problème… »

Le phénomène nord-américain du « swatting »

Si un canular d’une telle ampleur médiatique est une première en France, il s’inscrit dans une longue liste de plaisanteries du même ordre. Dès le 11 février 2015, la police nationale inaugurait sur les réseaux sociaux, sur son compte officiel, une campagne de sensibilisation contre ces fausses alertes. Le message avait été à nouveau posté au début du mois d’août.

Depuis quelques années, de nombreux cas de swatting ont été répertoriés. Cette pratique, importée d’Amérique du Nord, consiste à provoquer, par un appel téléphonique malveillant, l’irruption de forces d’intervention (SWAT) au domicile d’une cible préétablie.

Certains se sont spécialisés dans les canulars téléphoniques. En France, le plus célèbre d’entre eux s’appelle Grégory Chelli, alias Ulcan, dont les deux auteurs présumés de la fausse alerte à la prise d’otage aux Halles ont dit s’être inspirés. Ce Franco-Israëlien s’en est notamment pris à plusieurs personnalités médiatiques françaises, comme Pierre Haski et Daniel Schneidermann, coupables à ses yeux de tenir des positions trop pro-palestiniennes.

Il avait par ailleurs annoncé au téléphone le décès – fictif – du journaliste de Rue89, Benoît Lecorre, au père de ce dernier. Trois jours plus tard, celui-ci était victime d’une crise cardiaque bien réelle et décédait des suites de celle-ci dix jours plus tard.

Depuis, la pratique n’a fait que se populariser et a même pris un nouveau tour plus spectaculaire avec le développement de la plate-forme de jeux vidéo Twitch et des parties en direct : interrompre un joueur en plein jeu, devant tous ses spectateurs, est devenu l’une de ses variantes les plus répandues.

Plusieurs condamnations ces derniers mois

Les canulars téléphoniques en tous genres se sont multipliés ces derniers mois. Au printemps 2015, plusieurs hôtels de Dijon et de Nancy ont dû procéder à l’évacuation en pleine nuit de leurs clients à la suite de la révélation de la « présence » de dangereux malfaiteurs. En début d’année, plusieurs lycées parisiens avaient été évacués après des alertes à la bombe fictives. Le Parisien relate qu’en avril les Yvelines avaient été le théâtre de cinq dénonciations imaginaires successives en moins d’une semaine, pour des faits rapportés de violence conjugale ou d’homicide. Chaque fois, les policiers s’étaient déplacés pour rien.

Ces canulars téléphoniques ne restent pas forcément impunis, loin de là. Au début du mois de juillet, l’auteur d’une opération de swatting contre un joueur de jeu vidéo sur Twitch a écopé de la peine maximale, deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Circonstances aggravantes : les coordonnées de la victime avaient été rendues publiques, et des cartes bleues volées avaient servi à financer la location d’un des serveurs payants spécialisés dans ce type de canular.

En juillet, un homme ivre qui avait appelé un hôpital de Maubeuge (Nord) pour signaler une bombe – qui n’existait pas – a été condamné à six mois de prison ferme. En août, un habitant du Rhône avait été puni de quatre mois avec sursis pour une fausse alerte à la bombe à la grande mosquée de Lyon.

« J’aurais peut-être dû réfléchir avant »

Désormais au cœur de la polémique, les deux auteurs présumés du canular n’affichent plus la même sérénité que le jour même : « On ne refera plus ce genre de conneries. Fini pour ma part. Je me rends compte que ça ne sert pas à grand-chose, assure au Monde Zakhaev Yamaha, qui affirme ne pas être le principal auteur du canular. On m’a prévenu le jour même qu’on allait faire ce genre de choses. Si l’on avait retardé un peu, j’aurais pu prendre du recul. J’aurais peut-être dû réfléchir avant. » Et de jurer qu’il n’était, en fait, qu’un simple « spectateur » de l’appel téléphonique.

Comme tous les délits, les cas de swatting ne débouchent sur une condamnation que quand leurs auteurs sont identifiés. Or, ceux-ci n’hésitent pas à recourir à de multiples techniques pour masquer leur identité. Des logiciels permettent ainsi de cacher la provenance d’un appel, voire de faire s’afficher un numéro de son choix sur le téléphone du correspondant. « On n’est pas traçables, on utilise des serveurs cryptés. On est à moins de deux heures de Paris, on n’a pas peur de la police », assurait dimanche Tylers Swatting dans l’hebdomadaire L’Obs.

Ces techniques permettent de brouiller les pistes, mais sont peu efficaces lorsque les auteurs des canulars se vantent a posteriori de leur canular sur les réseaux sociaux : dans ce cas, les enquêteurs peuvent obtenir, sur réquisition judiciaire, l’ensemble des éléments liés à un compte Facebook, Twitter ou YouTube (adresse e-mail, adresse IP, historique de connexions, etc.). Ce qui suffit souvent à identifier l’auteur d’un swatting.

Lundi matin, sur sa page Facebook, le hackeur Ulcan s’est désolidarisé des deux auteurs présumés, en s’adressant à Tylers Swatting : « Ça arrive de faire des bêtises, surtout à ton âge, l’important est de prendre conscience que ton geste était dangereux et inutile. »