Yannick Noah pendant le match entre Richard Gasquet et Marin Cilic, le 18 septembre 2016. | ANDREJ ISAKOVIC / AFP

Il a fallu attendre deux heures après l’élimination de l’équipe de France par la Croatie pour entendre Yannick Noah, dont la présence était requise sur le banc lors du cinquième match remporté, pour l’honneur, par Lucas Pouille. Avant de s’adresser aux journalistes, le capitaine des Bleus est resté un long moment à l’extérieur de la salle de presse, les yeux rougis, fumant une cigarette, puis une autre, et tripatouillant frénétiquement sa casquette des New York Knicks, le club de basket où joue son fils Joakim. Enfin, il s’est présenté face aux micros pour livrer son sentiment au bout d’un week-end qui restera marqué par la défection de dernière minute de Gaël Monfils.

On vous sent très déçu après cette élimination…

Le sentiment, c’est plus une espèce de mélancolie, une petite tristesse quoi. On a rêvé de gagner cette année, on rêvait de retourner en France jouer la finale, donc on se bat, on se bat, on y croit, on essaie de mettre en place tout ce qu’on peut, et puis il y a la balle de match et c’est terminé, tout s’écroule. On a un groupe très soudé, les gars jouent les uns pour les autres, il y a eu beaucoup d’émotions pendant ces trois jours. Au moment où on lâche le dernier point, notre rêve s’écroule un peu.

Pourquoi cette rencontre vous a-t-elle échappé ?

C’est pas tellement qu’elle nous échappe, je crois qu’on nous a pris notre rêve. Je pense qu’on a eu un très bon joueur en face. Cilic a eu très peu de passages à vide, et il a tenu les trois jours. Il nous a dominés, il a gagné ses deux simples, il a été incroyable en double, il a tenu son équipe à bout de bras, et voilà. Le seul moment où on aurait pu avoir une mini-chance, c’est pendant le double.

L’issue de la rencontre aurait-elle été différente si Gaël Monfils avait joué ?

Je pense que l’issue aurait été différente si on avait été il y a trente ans et que j’avais joué contre Zeljko Franulovic [un ancien champion croate]. Je ne sais pas. Qu’est-ce que je peux dire ? C’est la Coupe Davis. Au premier tour, on a joué contre le Canada, leur no 1 n’était pas là [Milos Raonic]. En quarts, on a joué contre la République tchèque, leur no 1 n’était pas là [Tomas Berdych]. Cette fois, c’était notre tour. La question, c’est de savoir à quel point tu veux t’impliquer dans l’équipe. Et bien sûr, quand je vois l’investissement de Marin Cilic, ça nous inspire tous.

Que s’est-il véritablement passé avec Gaël Monfils, qui a quitté le groupe deux jours avant la rencontre ?

Il s’est passé ce que vous savez. A savoir que je suis allé à New York tout content, il y avait trois des gars en quarts de finale du simple [Tsonga, Monfils, Pouille], le double en quarts aussi, la perspective de la rencontre face à la Croatie était jolie, avec les gars en forme, en confiance, en bonne santé. Ensuite Gaël arrive en demi-finale, je me dis : « Il va falloir gérer son retour. » Et puis il arrive ici, et vraiment au dernier moment il ne peut pas jouer. En une heure, on est passé d’une équipe à une autre, Richard [Gasquet] se retrouve tout à coup dans la gueule du loup. Forcément, il faut tout de suite s’adapter. Je mets toute ma concentration, toute mon énergie sur les gars qui sont là. Bien sûr qu’il y a des sentiments mitigés, mais ne serait-ce que par respect pour ce qu’on a vécu, pour ceux qui se sont bagarrés, qui ont travaillé, chialé dans le vestiaire après, ce n’est vraiment pas le moment de parler de Gaël.

Etait-il vraiment blessé ou s’agit-il d’une blessure diplomatique ?

Comment voulez-vous que je vous réponde ? J’en sais rien.

Avez-vous le sentiment qu’il vous a plantés ?

Si je vous dis « il nous a plantés », ça veut dire que je pense qu’il n’était pas blessé. Je ne sais pas. Je veux en avoir le cœur net, et pour l’instant je n’ai pas eu le temps de l’appeler, je n’ai pas eu devant moi ses radios, je ne peux pas répondre. La seule chose sur laquelle je peux répondre, c’est que c’était vraiment tard [pour déclarer forfait]. En général, j’ai plutôt de la chance, et c’est vraiment pas de chance qu’il se fasse mal en montant les escaliers, quoi. Voilà, c’est tout.

Allez-vous avoir une explication avec lui ?

Me trouver aujourd’hui en face de vous pour envoyer un message, et ensuite lire « Noah clashe Monfils », ça me fait vraiment chier, parce que c’est vraiment pas ça le truc. Mon travail, c’est d’essayer de les faire adhérer, de leur donner envie. Peut-être que c’est mon erreur de ne pas avoir trouvé les mots, il y a peut-être aussi un peu de ça. Mais en aucun cas je ne veux me retrouver dans la situation du mec qui casse son joueur. Je pense qu’il y a des choses à régler, mais on va le faire en tête à tête. Et oui, j’ai des choses à dire.

Toujours lors de la rencontre Cilic-Gasquet, qui s’est donc mal terminée pour les Bleus, dimanche 18 septembre. | ANDREJ ISAKOVIC / AFP

Avez-vous envie de poursuive comme capitaine ?

Oui, j’en ai envie, mais ce n’est pas que moi, il y a un groupe, un projet qui évolue forcément. On va parler avec les joueurs. Si je dois passer encore des semaines comme celle-là, je peux rester dix ans. Avec des mecs comme ça, ça vaut vraiment la peine. Jouer avec un groupe comme celui-là, c’est un honneur. Je prends vraiment du plaisir à être là, à encourager les gars, à me retrouver dans le tennis, n’en doutez pas une seconde. Par contre, j’ai aussi un peu d’ambition, et c’est bien de gagner. Et qu’on ait tous envie de gagner, qu’on tire tous dans le même sens.

C’est-à-dire que si un joueur dit non, vous ne reviendrez pas ?

Ou je viens, et je le vire.

Savez-vous pourquoi l’équipe de France n’a pas gagné en Coupe Davis depuis quinze ans ?

Autant que vous. Les fois où on a gagné, c’est parce qu’on avait un esprit d’équipe, qu’on faisait corps. On n’a jamais eu un no 1 ou un no 2. Nous, c’est l’équipe. Avoir une équipe compacte, et faire corps. Les fois où on a gagné, on a fait des stages les dix jours avant la compétition. C’est vraiment un investissement, un engagement qui va au-delà de rentrer sur le court, mettre le maillot bleu-blanc-rouge et chanter La Marseillaise. C’est comme ça qu’on gagne. Si demain, on a un no 1 mondial, ça changera. Les Croates, ils ont un joueur qui a joué à un très, très bon niveau, il gagne ses trois matchs, c’est réglé. Mais nous, non. Pour l’instant, c’est différent.

Qu’allez-vous retenir de cette saison ?

L’état d’esprit cette semaine, avec pas mal d’adversité. L’état d’esprit à Trinec [en République tchèque, pour le quart de finale], où on se retrouve dans le vestiaire, alors que quelques heures avant le match il y a eu l’attentat de Nice. Les mots qu’on échange à ce moment-là, la façon dont les gars se comportent à ce moment-là, la victoire au bout, c’est énorme. La victoire en Guadeloupe [au premier tour], c’était énorme, une atmosphère incroyable, j’avais jamais vécu ça. Et puis la joie de retrouver un peu la famille, de retourner sur la chaise, de retrouver un peu mon univers, parce que quelque part, je reste quand même joueur de tennis.