Le fonctionnement d’un abattoir mobile en Suède
Durée : 04:22
Images : Anna Moreau / Le Monde

Un jeune taureau de 15 mois attend son heure dans un des box de la grande étable. C’est un lieu qu’il connaît ; il est né et a grandi ici, dans la ferme de Jan Johansson, dans les environs de Karlstad, à 300 km à l’ouest de Stockholm. Le 9 septembre au matin, avec une dizaine d’autres bovins, il a été sélectionné pour être tué. Au cours de la matinée, tous sont partis un à un dans le grand camion blanc garé près de l’étable. Sur le flanc du véhicule, le portrait d’une femme d’une soixantaine d’années, aux yeux clairs, souriante.

Quand l’employé de la ferme vient chercher le taureau, l’animal hésite un peu, c’est donc Jan, l’éleveur, qui prend les choses en main. Il passe au-dessus de la barrière de contention pour donner une tape ferme et rassurante sur le postérieur du bovin. Cela suffit pour que l’animal avance dans la partie arrière du camion.

Quelques secondes plus tard, à l’intérieur, un employé place le « matador » sur la tête de l’animal. Cet outil envoie une tige de fer dans le cerveau et ressort en une fraction de seconde pour étourdir. Le « clac » sec est suivi du son violent d’un corps de 400 kg qui s’effondre. Une chaîne est placée autour de la patte et soulève doucement l’animal. Le taureau est ensuite saigné, débité et dépecé dans le camion de 6 mètres de haut sur 27 mètres de long.

« Méthode plus humaine »

Depuis le début de l’année, Jan Johansson a fait abattre 300 bêtes par l’abattoir mobile. L’éleveur de 57 ans est un des premiers à avoir changé ses habitudes pour tenter l’expérience : « J’aime essayer des techniques progressistes. Et à chaque fois que le camion revient, je suis de plus en plus convaincu par ce système. »

L’homme costaud au crâne rasé dirige une exploitation de 650 hectares, pour un millier de têtes. Avant la création de l’abattoir mobile en 2014, il faisait comme la grande majorité des éleveurs suédois et emmenait ses bêtes à une centrale de transports pour qu’elles soient transférées vers l’abattoir. « Chaque petit changement que vous faites subir à l’animal, même s’il s’agit de le transférer d’un point A à un point B à l’intérieur de l’étable, peut causer du stress, car c’est le changement lui-même qui est stressant. Je pense que cette méthode [d’abattoir mobile] est bien plus humaine. »

Et la présence de l’éleveur est incontournable pour que les choses se passent bien, souligne Britt-Marie Stegs. Le visage souriant sur le camion, c’est elle. Cette ancienne éleveuse devenue chef d’entreprise a créé l’abattoir itinérant début 2015. « Je travaille avec une cinquantaine d’éleveurs sélectionnés dans toute la Suède. Je leur achète les animaux, nous venons à la ferme et nous repartons avec les carcasses dans les camions réfrigérés. Elles reposent une dizaine de jours, puis sont découpées et vendues en grande surface. »

Le dispositif compte trois véhicules minimum. Un camion frigorifique, un camion équipé d’un bureau et de vestiaires, et le camion principal consacré à la transformation. Ici, on peut débiter jusqu’à 55 bêtes par jour. Cette partie est modulable, l’arrière s’abaisse au niveau du sol et le plafond peut aller jusqu’à six mètres de haut.

A l’intérieur, six carcasses, à différentes étapes de travail, sont suspendues dans la partie transformation. De la mise à mort jusqu’au coup de tampon de certification, ils sont cinq, dont une vétérinaire – payée par l’Etat – à travailler en simultané. Dans cet espace où chaque centimètre est compté, l’atmosphère est calme et détendue. Deux employés évoluent de haut en bas sur leurs nacelles pour travailler sur les carcasses imposantes, chacun à sa tâche.

Plus proche et respectueux

Pour Javier Castillo, l’un d’eux, la proximité avec les éleveurs donne un autre sens à son travail. « Je peux aller voir l’éleveur et lui dire que tel animal était très bien, ou par exemple que certaines bêtes avaient des problèmes au niveau du foie. »

Un abattage au plus proche du lieu d’élevage, respectueux des animaux et des travailleurs, c’est le rêve de beaucoup de professionnels et d’associations en France. Deux Français collaborent déjà avec Britt-Marie Stegs pour importer l’idée dans l’Hexagone.

« C’est une des alternatives les plus intéressantes à l’abattage industriel », si l’on en croit Jocelyne Porcher, directrice de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique et coauteure du Livre blanc pour une mort digne des animaux (Editions du Palais, 2014). Mais selon elle, l’investissement colossal que représente ce dispositif, au moins 2 millions d’euros, risque d’être trop contraignant en termes de rentabilité. « Ces abattoirs mobiles doivent être aux mains des éleveurs, car le rapport entre l’homme et l’animal dans ce moment particulier [de l’abattage] ne doit pas se faire dans un temps compressé. (…) Et puis cet abattoir ne va pas se déplacer seulement pour deux veaux, ou un cochon. »

Animatrice du collectif Quand l’abattoir vient à la ferme, elle plaide pour des dispositifs plus légers, comme un camion développé en Autriche, quatre à cinq fois moins coûteux, ou un simple caisson d’abattage.

  • En France, une commission d’enquête parlementaire présente ses propositions

Le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie sera rendu public mardi 20 septembre. Le texte avance 65 propositions pour améliorer le bien-être des bêtes, mais aussi celui des salariés.