Le camp de Moria le lendemain de l’incendie, mardi 20 septembre 2016. | LOUISA GOULIAMAKI / AFP

La rumeur qui court et qui affole. Et achève de mettre le feu aux poudres d’une situation déjà explosive. Le vaste camp de réfugiés et migrants de Moria, sur l’île grecque de Lesbos, a brûlé à plus de 60 %, lundi 19 septembre, consumé par de vastes flammes qui ont obligé près de 4 000 personnes à fuir en pleine nuit dans la campagne environnante pour échapper au feu.

Difficile de croire à l’accident. Il s’agirait bien d’un incendie volontaire, même si l’enquête doit encore déterminer les circonstances exactes de l’affaire. La police de Lesbos annonce en tout cas avoir arrêté huit personnes en lien avec les violences et en rechercher dix-huit autres.

Réfugiés et migrants revenaient par centaines mardi dans le camp surchargé. Comme tous les matins, des files d’attente se sont formées pour la distribution de nourriture, dans la zone épargnée par les flammes. A l’extérieur, des migrants affluaient des collines environnantes où ils s’étaient enfuis, tandis que des ouvriers municipaux en gilets jaunes entamaient les réparations.

Selon plusieurs témoins des événements, tout avait commencé quelques heures plus tôt. « Le bruit a commencé à courir que les autorités allaient reprendre les expulsions vers la Turquie, raconte une source policière. Et très vite, il y a eu des affrontements interethniques. Les Africains avec les Pakistanais, avec les Afghans… Tout l’après-midi de lundi a été très tendu et d’un coup plusieurs feux ont démarré simultanément. »

« Politiques erronées » de l’accord UE/Turquie

Ce n’est pas la première fois que des incidents éclatent dans le camp surpeuplé, mais jamais encore il n’avait fallu procéder à une telle évacuation. L’île de Lesbos abrite actuellement 5 650 réfugiés et migrants, pour 3 500 places d’hébergement, selon les statistiques publiées lundi par le gouvernement. Au total, il y aurait plus de 60 000 migrants et réfugiés en Grèce.

La plupart sont bloqués là depuis l’entrée en vigueur de l’accord entre l’Union européenne (UE) et Ankara le 20 mars, prévoyant le renvoi systématique en Turquie des arrivés depuis cette date. La grande majorité d’entre eux ont demandé l’asile et attendent sur l’île l’issue de leur démarche, ce qui peut prendre des mois. Seules 502 personnes ont été expulsées en six mois.

Le directeur du Comité international de secours en Grèce, Panos Navrozidis, a déclaré que l’incendie sert de rappel brutal aux dirigeants du monde et montre la nécessité de revoir ce qu’il appelle « les politiques erronées et profondément douteuses » mises en place avec l’accord UE/Turquie.

Manifestations « citoyennes » à relents nationalistes

Dès mardi matin, dans un paysage de désolation, les pelleteuses commençaient le travail de déblaiement. « Nous devons remettre sur pied le camp le plus rapidement possible et réinstaller des tentes, car des pluies sont attendues dans les prochains jours et on ne peut pas laisser des milliers de migrants à la rue. Pas dans le climat d’exaspération qu’il y a sur l’île en ce moment », explique-t-on côté mairie.

Dimanche 18 décembre, en effet, un groupe de citoyens mécontents, très visiblement soutenu par le parti néonazi Aube dorée, a manifesté sur le port de Mytilène contre la présence des réfugiés sur leur île.

« Ils lançaient à la tête de nos volontaires des slogans d’une violence inouïe, raconte Lena Antinoglou, militante et très active au Pikpa, un camp ouvert géré par des volontaires mis sur pied il y a plus de trois ans. L’accord UE/Turquie a totalement changé la donne ici. Alors qu’il y avait une solidarité exemplaire et un climat plutôt calme, avoir des milliers de gens coincés comme ça de manière indigne dans des camps pleins à craquer a commencé à créer des tensions de plus en plus vives, et, aujourd’hui, les fachos tentent de gagner du terrain. »

Ces dernières semaines, des manifestations « citoyennes » à relents nationalistes et aux slogans franchement racistes ont eu lieu sur les îles de Lesbos, donc, mais aussi Chios et Leros. Les plus touchées par le surpeuplement des camps. L’extrême droite est restée plutôt silencieuse et en retrait ces deux dernières années en Grèce, alors même que le flux de réfugiés qui traversait le pays atteignait le million.

Mais, depuis que les pays du nord de l’Europe ont fermé leurs frontières en février, et que près de 60 000 réfugiés se sont retrouvés bloqués en Grèce, la tendance s’inverse. Des groupes « d’autodéfense » commencent à voir le jour, et les néonazis de l’Aube dorée regagnent du terrain localement.

« Nous avons ici les groupes les plus vulnérables »

La police a tenté de contenir la plus grande majorité des 4 000 réfugiés qui ont fui Moria aux alentours du camp avec l’objectif de les réintégrer le plus vite possible dans de nouvelles tentes. Mais les containers, censés notamment accueillir les familles avec enfants – une nécessité à l’approche de l’hiver – ont brûlé. Le reste des structures d’accueil de l’île étant pleines, Athènes a décidé d’envoyer un ou deux ferries pour héberger à leur bord les migrants de manière temporaire.

« Au moment de l’incendie, on nous a envoyé les 90 mineurs non accompagnés, des Afghans, des Pakistanais, des Africains ou des Syriens, qui vivaient à Moria », raconte Lena Antinoglou. Le camp Pikpa, prévu pour héberger 110 personnes, est brutalement monté à 210 réfugiés.

« Pour l’instant, l’entreprise de restauration qui les nourrissait à Moria vient le faire ici, mais nous ne pourrons pas tenir longtemps à ce régime, se désole Mme Antinoglou. Nous avons ici les groupes les plus vulnérables : les femmes enceintes, les très jeunes enfants, les handicapés. il faut que l’Etat trouve une solution très rapidement pour soulager l’île. »

Grèce : un incendie a ravagé un camp de réfugiés à Lesbos
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