Des mères utilisent un bracelet MUAC pour lutter contre la malnutrition, dans le village de Barago, au Niger, le 14 juillet 2016. | BOUREIMA HAMA / AFP

C’est une étude qui ouvre des perspectives prometteuses dans la lutte contre la malnutrition, un fléau qui tue près de 3 millions d’enfants de moins de 5 ans sur les 6,3 qui meurent chaque année dans le monde. Former les mères au dépistage de la malnutrition chez leur enfant favorise une détection et une prise en charge plus rapides, et réduit le besoin d’hospitalisation : la démonstration vient d’en être faite par une enquête de terrain, menée au Niger par l’ONG Alliance for International Medical Action (Alima) et présentée dans la revue Journal Archives of Public Health du 6 septembre.

Dans ce pays, depuis la grave crise alimentaire de 2005, le nombre de centres nutritionnels, tout comme celui des enfants ayant accès au traitement ont fortement augmenté, mais ce fléau continue de s’étendre : 15 % des enfants y souffrent aujourd’hui de malnutrition aiguë sévère et un sur deux, de malnutrition chronique. Pour être en mesure de répondre à ces forts besoins médicaux, Alima a donc voulu explorer de nouvelles façons de diagnostiquer les enfants plus rapidement, et de simplifier les procédures.

Près de 13 000 mères formées

L’étude a consisté à comparer, sur une année – de mai 2013 à avril 2014 –, deux stratégies de dépistage dans des zones de santé distinctes du district de Mirriah, en plein cœur du Niger rural. Dans l’une, près de 13 000 mères ont été formées sur la façon d’identifier les œdèmes et d’utiliser le bracelet MUAC, une bandelette graduée et colorée qui permet de mesurer le périmètre brachial (circonférence du bras entre l’épaule et le coude) ; dans l’autre, les agents de santé communautaires, eux-mêmes formés, ont effectué un dépistage classique, sachant que l’on dénombre un agent de santé pour 50 ménages environ.

Dans la zone où les mères étaient chargées de ce suivi, la malnutrition a été détectée à un stade moins avancé de dénutrition, avec des hospitalisations moins fréquentes que dans la zone suivie par les agents de santé communautaires. Et ce tant au début du traitement que pendant celui-ci.

Si la formation des mères a exigé un investissement initial plus élevé, le coût global de la prise en charge des enfants malnutris a été sensiblement plus faible dans la zone où celles-ci avaient appris les techniques de dépistage : 8 600 dollars (7 690 euros) contre 21 980 dollars (19 660 euros) pour les enfants bénéficiant d’un suivi traditionnel par les agents de santé.

« Précieux outil de surveillance »

Les auteurs de l’étude insistent sur les nombreux avantages du bracelet MUAC mesurant le périmètre brachial. A la différence des autres mesures anthropométriques, telles que le rapport poids-taille, pour lequel les foyers n’ont pas les moyens d’être équipés dans les pays du Sud, ce bracelet se révèle accessible et très simple d’utilisation. « Aussi simple qu’un thermomètre », soulignent-ils, car il peut être utilisé par les parents à la maison pour détecter un problème dès les premiers signes. Ainsi, il indique, selon la couleur de la bandelette, quand un enfant a besoin de soins. « Le MUAC offre à ces femmes, sans cesse sur la brèche pour assurer le bien-être de leur famille, un précieux outil de surveillance de leur enfant qui leur permet de prévenir la dégradation de son état de santé, abonde Anne-Dominique Israël, responsable nutrition et santé à Action contre la faim (ACF). Or, plus la détection est précoce, plus le traitement est court et efficace, et dès lors plus les risques de complications médicales et de mortalité sont réduits. »

« Voyant leurs enfants tous les jours, les mères sont les plus à même de détecter les premiers signes de la malnutrition », insistent les auteurs de l’étude. Et de souligner : « Placer les mères, avec cet outil simple, au centre des stratégies de dépistage, contribuera à résoudre le problème de la couverture des familles par les personnels de santé, en particulier dans des régions comme le Niger rural où, même en saison sèche, 34 % de la population ne vit pas à moins de cinq kilomètres d’un centre médico-social. »

« Manque criant de ressources humaines »

Si, en dix ans, la prise en compte de la malnutrition aiguë sévère a fortement progressé, il reste beaucoup à faire pour réduire ce fléau et assurer sa prise en charge par les services médicaux, appuie Anne-Dominique Israël. « Seuls 15 % des enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère dans le monde ont aujourd’hui accès à un traitement. Au-delà des recherches sur le bon traitement, se pose la question de comment dépister la maladie et dispenser le traitement. Or, souligne-t-elle, sur le terrain, et en particulier en Afrique, il y a un manque criant de ressources humaines. »

Non moins convaincue de l’intérêt d’un dépistage et d’un diagnostic par les mères, Viviane Van Steirteghem, représentante Unicef au Niger, doute cependant d’un développement à grande échelle de cette stratégie. « Cela demande une organisation de la société civile, observe-t-elle. C’est certainement à encourager et à essayer là où il y a une présence d’ONG partenaires. Mais, dans les zones moins couvertes, les gouvernements peinent déjà à superviser les centres de santé communautaire, on voit mal comment ils pourraient être plus présents. »

L’ONG Alima appelle cependant à intégrer cette stratégie de dépistage dans les programmes nationaux de prise en charge des maladies de l’enfant. « Placer les mères au centre des stratégies de dépistage, insistent les auteurs de son étude, est une avancée décisive dans l’accès croissant aux soins des enfants dans toutes les zones où le risque de mortalité et de morbidité est élevé. Tout en réduisant les coûts de traitement. »