Visioconférence avec Edward Snowden au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, le 23 juin 2015. | FREDERICK FLORIN / AFP

Hollywood, lors de la sortie prochaine du film d’Oliver Stone sur Edward Snowden – le 1er novembre en France –, permettra-t-elle d’obtenir un pardon pour l’ex-contractuel de l’Agence nationale de sécurité (NSA), que Washington lui a jusqu’alors toujours refusé pour avoir révélé, en 2013, l’existence d’un système de surveillance mondiale ? Cet espoir a sans doute motivé la déclaration, mardi 13 septembre, du principal intéressé, dans un entretien avec le Guardian, sollicitant à demi-mot la grâce présidentielle pour retourner dans son pays après trois ans d’exil à Moscou. Poursuivi pour espionnage, il risque jusqu’à trente ans de prison.

Cette demande va être réitérée, mercredi, par son avocat, Ben Wizner, entouré de représentants d’Amnesty International, de l’American Civil Liberties Union (ACLU) et de Human Rights Watch, à New York, lors d’une conférence de presse de lancement d’une pétition pour obtenir le pardon de Barack Obama avant que celui-ci ne quitte ses fonctions. « Je pense qu’Oliver [Stone] fera plus pour Snowden en deux heures que ses avocats n’ont été capables de le faire en trois ans », a résumé, modeste, Ben Wizner.

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« Dernier rempart de la démocratie »

« L’histoire nous a montré qu’il y a toujours des périodes où les gouvernements abusent de leurs pouvoirs. C’est pourquoi nos pères fondateurs ont construit un système de contre-pouvoirs. Les lanceurs d’alerte sont le dernier rempart de la démocratie, quand les autres contre-pouvoirs ont échoué », a lancé Edward Snowden lors de la conférence de presse, soulignant les progrès rendus possibles par ses révélations.

« Lorsque les gens regardent les bénéfices, il est clair que depuis 2013 les lois de notre pays ont changé. Le Congrès, les tribunaux et le président, tout le monde a changé sa politique après ces révélations. Dans le même temps, il n’y a jamais eu de preuve publique que quelqu’un en ait souffert », avait-il assuré, un peu plus tôt, au Guardian :

« Il y a des lois qui disent certaines choses, mais c’est peut-être pourquoi le pouvoir de donner son pardon existe – pour les exceptions, pour les choses qui semblent illégales sur le papier, mais qui, si on les regarde d’un point de vue moral, éthique, quand on regarde les résultats, apparaissent comme nécessaires, vitales. »

Lors de sa conférence de presse, M. Snowden a de nouveau exposé sa condition principale pour un retour au pays : que le gouvernement ne le juge pas en vertu de l’« Espionage Act », une loi très dure vieille de près de cent ans. Ce texte, a-t-il expliqué, « empêche la tenue d’un procès équitable » :

« L’accusé n’a pas la possibilité d’expliquer au jury les raisons de son acte. Cette loi ne fait aucune différence entre ceux qui ont fourni des informations importantes à des journalistes pour l’intérêt général et des espions qui ont donné des informations à l’ennemi pour leur gain personnel. »

Les représentants des trois ONG ont rappelé à la tribune les réformes légales et techniques entreprises grâce à ses révélations, l’octroi du prestigieux prix Pulitzer aux journalistes ayant travaillé avec lui ou encore le vaste débat sur la surveillance, aux Etats-Unis et dans le monde, qui a fleuri depuis 2013.

Barack Obama va-t-il profiter du reste de son mandat pour exercer son pouvoir constitutionnel de grâce à l’endroit du plus célèbre lanceur d’alerte américain ? « C’est la bonne chose à faire, ce sera un signal fort que les Etats-Unis soutiennent les droits de l’homme », a jugé Naureen Shah, d’Amnesty International. « C’est le moment idéal pour lui », a renchéri Anthony Romero, de l’ACLU, assumant de tenter de susciter un « soutien populaire » à la demande de grâce.

Plusieurs personnalités ont apporté, dans le Guardian, leur soutien à cette demande. Parmi elles, le philosophe Noam Chomsky, l’ancien candidat démocrate Lawrence Lessig, le comédien Terry Gilliam ou le musicien Thurston Moore.

Protéger le pays de son gouvernement

En juillet 2015, la Maison Blanche a rejeté une première pétition pour un « pardon sans condition » qui avait récolté 167 954 signatures. Edward Snowden « devrait rentrer aux Etats-Unis pour y être jugé par ses pairs, et non pas se cacher derrière un régime autoritaire. Pour l’heure, il fuit les conséquences de ses actes », avait déclaré Lisa Monaco, la conseillère de M. Obama en matière de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme.

Après les attentats de Paris, en novembre 2015, le directeur de la CIA, John Brennan, avait encore pris à partie l’ex-consultant en faisant un lien entre ces attaques et « toute révélation non autorisée » de personnels d’agence de renseignement. Hillary Clinton, la candidate démocrate à l’élection présidentielle, avait précisé, en octobre 2015, que le plus célèbre des lanceurs d’alerte « a volé des informations très importantes qui, malheureusement, sont tombées entre beaucoup de mauvaises mains ».

Cette nouvelle initiative n’est pas liée au seul film d’Oliver Stone. Elle s’inscrit dans une stratégie arrêtée dès l’installation d’Edward Snowden en Russie, en juillet 2013. La grande cohérence entre ses engagements et ses actes, ces trois dernières années, atteste de son sens des responsabilités. Il affirme avoir agi par patriotisme et idéalisme. Attaché aux libertés fondamentales, il n’a cessé de vanter Internet comme un espace de liberté.

En 2015, grâce à Internet, il est intervenu dans des débats à Hongkong ou avec des philosophes de l’université de Stanford. Il a donné une conférence avec Lawrence Lessig ou avec Barton Gellman, de l’université de Princeton. Rejoignant, à sa manière, une antienne de la filmographie d’Oliver Stone, il assénait qu’un patriote n’est pas un nationaliste. Le patriotisme, pour lui, c’est protéger le pays de son gouvernement.

Son permis de résidence russe expire fin 2017

« Il a une grande envie de revenir et nous faisons tout notre possible pour que cela se réalise », a confirmé dès 2014 son avocat russe, Anatoli Koutcherena. Plus récemment, il s’est démarqué de WikiLeaks et de son fondateur, Julian Assange, considérant que la publication de documents ne pouvait se faire sans une forme de « curation » – traitement. Propos lui valant en retour l’accusation « d’opportunisme » de la part du site.

Le temps d’Edward Snowden est aujourd’hui compté. Son permis de résidence de trois ans, accordé par Moscou, expire fin 2017 sans que l’on sache s’il serait prolongé, au regard de ses prises de position critiques contre la multiplication des atteintes aux libertés recensées en Russie.