Pour la quatrième fois de leur histoire, après le VIH-sida, les maladies non transmissibles et Ebola, les Nations unies ont mis à l’ordre du jour une question liée à la santé. Le phénomène de résistance aux antimicrobiens était en l’occurrence à l’ordre du jour, mercredi 21 septembre, de l’Assemblée générale de l’ONU, qui se tient cette semaine à New York. Il est devenu une préoccupation qui n’est plus seulement sanitaire, mais « une menace fondamentale, à long terme pour la santé humaine, la production durable de nourriture et le développement », comme l’a qualifiée le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon.

De la pénicilline à un usage trop large

Les antibiotiques sont apparus avec la pénicilline, découverte en 1928 et utilisée comme thérapeutique à partir de 1941. Avant que la chimie de synthèse se développe, il s’agissait pour la plupart d’entre eux de substances naturelles produites par des micro-organismes, champignons ou bactéries.

Ils ont révolutionné la médecine et sauvé des millions de vies, mais l’élan de recherche qui a permis la mise au point de nombreuses familles d’antibiotiques s’est accompagné d’un usage souvent inapproprié, à commencer par la prescription d’antibiotiques dans des infections virales, alors qu’ils n’ont aucun effet sur les virus, et d’une utilisation bien trop large.

L’Ecossais Alexander Fleming, crédité de la découverte de la pénicilline, avait pourtant mis en garde, dès 1945, contre le développement de résistances découlant de l’utilisation de doses non létales d’antibiotiques. Et, dès la décennie suivante, le médecin britannique Lindsay Batten et d’autres alertaient contre les effets néfastes de l’utilisation d’antibiotiques à large spectre (tuant un grand nombre de bactéries différentes) pour des infections bénignes.

L’apparition de résistances aux antibiotiques chez les bactéries est au départ un processus naturel. Elle résulte de la mutation d’un gène dans une bactérie qui lui confère la capacité de ne pas être détruite. Par un mécanisme de sélection naturelle, cet avantage par rapport aux bactéries sensibles aux antibiotiques favorise le développement de la nouvelle population bactérienne.

S’il est illusoire d’espérer faire disparaître le phénomène, au moins pourrait-on le limiter par un usage raisonné des antibiotiques.

Une résistance aux conséquences dramatiques

La crise actuelle touche l’ensemble des médicaments anti-infectieux, que l’on regroupe sous le terme d’antimicrobiens : antibiotiques (infections bactériennes), antiviraux (infections dues à des virus), antiparasitaires (maladies parasitaires) et antifongiques (contre les maladies provoquées par des champignons, comme les candidoses).

Devant l’assemblée des Nations unies, le 21 septembre, Ban Ki-moon a cité quelques exemples : plus de 200 000 enfants meurent chaque année d’infections qui ne sont pas sensibles aux antibiotiques disponibles ; une épidémie de typhoïde multirésistante transmise par le biais de l’eau déferle sur plusieurs régions d’Afrique, les résistances aux médicaments anti-VIH se développent, les formes de tuberculose résistant à la plupart des antituberculeux ont été identifiées dans 105 pays, de même, les résistances aux traitements contre le paludisme s’accroissent.

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On pourrait prolonger la liste avec l’épuisement presque atteint des antibiotiques actifs contre la gonorrhée, mais aussi l’apparition chez l’homme d’un mécanisme de résistance à la colistine transférable entre bactéries : un gène baptisé « mcr-1 », découvert en Chine et récemment retrouvé aux Etats-Unis.

En médecine humaine, la colistine est un antibiotique réservé en dernier recours contre les infections multirésistantes aux autres familles.

La colistine est utilisée dans l’élevage, par exemple les porcs et les poulets. | PIERRE ANDRIEU/AFP

La colistine est également utilisée en médecine vétérinaire et c’est d’abord chez les porcs et les poulets et dans de la viande vendue au détail, que la présence du gène de résistance transférable a été identifiée en Chine, avant qu’il soit isolé chez l’homme.

Des effets sanitaires et économiques

Si les mauvaises pratiques de prescription et de consommation d’antibiotiques en médecine humaine ont généré des résistances, l’utilisation massive d’antibiotiques en santé animale, souvent à titre préventif, a contribué grandement à leur dissémination. D’autant que les animaux traités présentent un avantage économique : ils sont plus gros que ceux non traités.

La crise a été aggravée par l’assèchement des efforts de recherche-développement consacrés à de nouveaux antibiotiques par l’industrie pharmaceutique, qui a préféré se tourner vers d’autres secteurs plus prometteurs.

Résultat, comme le soulignait, en mai, le rapport AMR Review (revue de la résistance aux antimicrobiens), dirigé par Lord Jim O’Neill, si rien n’y est fait, les infections tueront jusqu’à 10 millions de personnes par an en 2050, plus que le cancer. S’y ajoute, d’ici à 2050, un coût économique cumulé atteignant la somme exorbitante de 100 000 milliards de dollars en termes de pertes de production.

La crise a été aggravée par l’assèchement des efforts de recherche-développement consacrés à de nouveaux antibiotiques par l’industrie pharmaceutique, qui a préféré se tourner vers d’autres secteurs plus prometteurs. | JEFF McINTOSH/AP

Mettre en place un plan d’action mondial

Différents rapports nationaux ou internationaux ont convergé pour souligner l’urgence d’une riposte mondiale et coordonnée à la résistance aux antimicrobiens. Car, il faut changer les pratiques, surveiller le phénomène de résistance à l’échelle mondiale, relancer la recherche et développement de nouveaux antimicrobiens, rendre les traitements accessibles à tous sous peine d’un effet boomerang, et financer toutes ces activités.

La réunion de haut niveau lors de l’Assemblée générale des Nations unies débouche sur une déclaration d’engagement des chefs d’Etat à adopter une approche générale et concertée afin de s’attaquer aux causes fondamentales de la résistance aux antimicrobiens dans plusieurs domaines, et en particulier la santé humaine, la santé animale et l’agriculture.

Elle s’appuiera sur le Plan d’action mondial pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens, que l’Organisation mondiale de la santé a élaboré en 2015, en coordination avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et l’Organisation mondiale de la santé animale.

Pour prévenir les infections et diminuer la nécessité de recourir aux antibiotiques, les Etats ont souligné l’importance de la vaccination, l’eau potable, l’assainissement et l’adoption d’une bonne hygiène au sein des hôpitaux et dans le secteur de l’élevage. « Les pays ont aussi souligné les failles du marché et ont préconisé l’instauration de nouvelles mesures incitatives afin d’investir dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments, de tests de diagnostic rapide et d’autres thérapies importantes appelées à remplacer celles qui perdent de leur puissance », souligne le communiqué des Nations unies.

L’ONU insiste par ailleurs « sur le fait que le caractère abordable des nouveaux antibiotiques et de ceux déjà existants, leur accessibilité, les vaccins et les autres outils médicaux devraient être des priorités mondiales et tenir compte des besoins de tous les pays ».

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