C’est à reculons que le Kenya s’est présenté, lundi 19 septembre, devant la Cour internationale de justice (CIJ), traîné par la Somalie devant les dix-huit juges de cette juridiction de l’ONU chargée de régler les différends entre Etats à La Haye.

Mogadiscio accuse Nairobi d’exploiter illégalement une zone de plus de 100 000 km² de l’océan Indien. Depuis 2000 et plus encore au cours des cinq dernières années, plusieurs compagnies pétrolières – dont la française Total, l’américaine Anadarko Petroleum et l’italienne Eni SpA – se sont vu accorder par le Kenya des droits d’exploration dans la zone contestée.

A l’audience, la conseillère juridique du président somalien, Mona Al-Sharmani, a dénoncé « l’attitude spécieuse du Kenya, qui a accordé des concessions dans cette zone ». Et en saisissant la CIJ en août 2014, la Somalie avait demandé aux juges d’ordonner que les données récoltées par le Kenya lors des opérations d’exploration pétrolières ne soient pas transmises à des tiers.

Mais cette question des ressources maritimes en gaz, en pétrole et en pêche, n’a été qu’effleurée à La Haye, car le Kenya s’oppose à l’intervention de la cour. Nairobi estime qu’il n’y a pas d’impasse diplomatique entre les deux voisins d’Afrique de l’Est qui justifierait l’intervention de la juridiction internationale. Et, pour prouver sa bonne foi, le Kenya rappelle qu’un accord a été signé en 2009, censé permettre à Nairobi et à Mogadiscio de définir précisément leurs frontières maritimes. Les négociations étaient en cours, a affirmé l’avocat général du Kenya, Githu Muigai, dénonçant l’ingratitude de la Somalie. « Depuis l’effondrement de l’Etat somalien, le Kenya a apporté une aide humanitaire à près d’un million de réfugiés somaliens », abrités dans des camps au nord du pays, « des centaines de soldats kényans ont perdu leur vie en défendant le gouvernement somalien » et « ont fait reculer les Chabab », les terroristes somaliens qui, en représailles, ont commis deux attentats majeurs au Kenya, l’un à Nairobi, en septembre 2013, puis en avril 2015, à l’université de Garissa, causant la mort de 142 étudiants.

« Garantie d’un conflit sans fin »

Dans ce contexte, Githu Muigai regrette d’entendre que « le Kenya aurait manigancé pour exploiter son voisin ». Dans le cadre de l’accord de 2009, les deux pays avaient conduit plusieurs cycles de négociations. Mais, en juillet 2014, aucun responsable kenyan ne se présente à Mogadiscio. L’ambassadeur du Kenya aux Pays-Bas, Rose Makena Muchiri, explique qu’il « existait des risques en raison de la rage déclenchée contre le Kenya par les Chabab », qui accusaient alors le gouvernement somalien d’avoir « vendu la mer au Kenya ».

Mais les autorités kényanes n’en disent alors rien à leurs homologues somaliens, qui décident donc de saisir la Cour internationale de justice. « Nous avons subi la guerre civile, des catastrophes humanitaires et le fléau du terrorisme » et « nous remercions nos frères et sœurs kényans », dit Mona Al-Sharmani, conseiller juridique du président somalien, mais « nous n’avons même pas pu nous mettre d’accord sur la méthode de tracé de la frontière ».

Le Kenya veut que la frontière suive un parallèle géographique. La Somalie veut appliquer le principe de l’équidistance. L’accord de 2009 prévoit que les deux pays se prononcent sur l’avis qui doit être donné par une commission des Nations unies, laquelle, au vu de son calendrier, ne pourrait pas rendre d’avis avant… 2033. Il n’en faut pas plus pour que les avocats de la Somalie s’interrogent sur une obstruction de Nairobi. « Le Kenya semble hostile à ce que la cour rende une décision qui ferait autorité », déplore Me Philippe Sands. « Cette hostilité manifeste que Nairobi nourrit envers la Cour » est peut-être l’« aveu », suggère l’avocat, « que sa prétention à une frontière maritime suivant un parallèle est dépourvu de fondement et serait très probablement rejeté par la cour ».

Pour l’avocat, « la position du Kenya constitue la recette d’une impasse, la garantie d’un conflit sans fin ». Les audiences prendront fin jeudi, mais la décision de la CIJ n’est pas attendue avant plusieurs semaines. Si elle décide de s’emparer du dossier, le procès sur le fond pourra enfin démarrer.