Lundi 19 septembre, des manifestants à Kinshasa s’en sont pris à une affiche du président JOseph Kabila. | KENNY KATOMBE/REUTERS

La capitale de la République démocratique du Congo est le théâtre de violences à caractère politique qui ont fait de nombreux morts depuis le 19 septembre. Voici les six points qui permettent de comprendre la crise congolaise.

  • Que se passe-t-il depuis le 19 septembre ?

Les affrontements entre jeunes et forces de l’ordre font un nombre indéterminé de victimes pour la troisième journée de suite à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), où l’opposition réclame le départ du président Joseph Kabila et la tenue d’une élection présidentielle. Ces violences, les pires depuis janvier 2015, ont commencé lundi 19 septembre au matin, en marge d’une manifestation à l’appel du Rassemblement, une association de partis politiques d’opposition et de forces civiles. Constitué autour du vieil opposant Etienne Tshisekedi, récemment rentré au pays, le Rassemblement a voulu, à travers cette journée de manifestation, signifier symboliquement au président Joseph Kabila le début de son « préavis  », à trois mois de la fin officielle de son second et, théoriquement, dernier mandat.

RDC : A Kinshasa, les images des violences
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La marche a rapidement dégénéré en affrontements avec la police. L’opposition et le pouvoir se sont renvoyé la responsabilité des violences, qui ont fait entre 50 et 80 morts selon le Rassemblement, et 17 (dont trois policiers) selon les autorités. Lundi, plusieurs bâtiments de partis de la majorité ont été incendiés. Dans la nuit de lundi à mardi, dans ce que l’opposition perçoit comme des « représailles », trois sièges de partis de l’opposition ont été brûlés. Sont particulièrement concernés les quartiers du centre et du sud de Kinshasa, les plus pauvres de cette mégapole de 10 millions d’habitants. Les Kinois n’ont jamais aimé Joseph Kabila, qu’ils ont toujours considéré comme un « étranger » venu de l’est du pays.

Quand auront lieu les élections ?

Selon la Constitution, le scrutin présidentiel devait avoir lieu le 27 novembre, alors que le deuxième mandat de cinq ans du président Joseph Kabila prend officiellement fin le 19 décembre à minuit. Or le vote n’a plus aucune chance de se tenir dans les délais. Selon la commission électorale nationale indépendante, la présidentielle et les scrutins locaux pourraient accuser un retard de quatorze à seize mois. Le temps, se défend l’institution, de trouver des financements et de revoir le fichier électoral de 2011 pour y inclure les Congolais ayant, depuis, atteint l’âge de 18 ans. D’autres sources parlent d’un retard bien plus important, de trois à cinq ans. L’opposition dénonce cette stratégie du « glissement », consistant à étirer sans cesse le calendrier. Mais, pour Joseph Kabila, la suite est claire : la Cour constitutionnelle, saisie par les parlementaires de la majorité, a tranché le 11 mai en faveur de son maitien à la tête du pays en cas de report du scrutin, sachant que la constitution interdit au président sortant de briguer un troisième mandat.

Dialogue ou pas dialogue ?

Ces violences à Kinshasa surviennent en plein « dialogue national », un processus proposé depuis novembre 2015 par le pouvoir pour donner le change et censé baliser le chemin vers un processus électoral apaisé. L’opposition s’est longtemps refusée à ce « dialogue », considéré comme un « piège » du pouvoir, avant que certaines de ses composantes minoritaires l’acceptent du bout des lèvres. Le « dialogue national » a donc été ouvert jeudi 1er septembre à Kinshasa par l’ancien premier ministre togolais Edem Kodjo, désigné « facilitateur » par l’Union africaine (UA).

Le Rassemblement, coalition des forces politiques et sociales autour de l’opposant historique Etienne Tshisekedi, boude ce forum et conditionne sa participation à une série de préalables, dont la libération des prisonniers politiques et d’opinion et l’arrêt des poursuites judiciaires contre Moïse Katumbi, ex-gouverneur du Katanga et candidat déclaré à la présidentielle.

Quant à la puissante église catholique de RDC, elle a suspendu, mardi, sa participation au « dialogue » en cours, « afin de faire le deuil » des Congolais décédés durant les deux jours de violences meurtrières. La Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) exige une enquête indépendante sur les violences et précise, à propos de « l’accord politique » devant sanctionner les travaux du dialogue : « Il devra être clairement établi et stipulé que l’actuel président de la République ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle à organiser le plus tôt possible. »

Kabila for ever ?

Joseph Kabila, 45 ans, a été le président africain le plus jeune lorsqu’il a succédé en 2001 à son père Laurent-Désiré Kabila, assassiné au cours de la deuxième guerre du Congo (1998-2002), qui aurait fait jusqu’à 4 millions de victimes. Joseph Kabila a d’abord été président par intérim avant de remporter en 2006 l’élection présidentielle au second tour contre Jean-Pierre Bemba, opposant condamné en juin à dix-huit ans de prison pour « crimes contre l’humanité » et « crimes de guerre » commis en Centrafrique par la Cour pénale internationale (CPI). Joseph Kabila a ensuite été réélu en 2011, en battant l’opposant historique Etienne Tshisekedi lors d’un scrutin entaché de fraudes massives. Décrit comme un homme rusé et doté d’un sens aigu de ses propres intérêts, M. Kabila se targue d’avoir su ramener une paix relative dans un pays déchiré par deux guerres fratricides et met en avant le doublement du PIB par habitant entre 2005 et 2012. Pourtant, selon le FMI, 82 % des Congolais vivent en dessous du seuil de pauvreté absolue (1,25 dollar par jour), et cela malgré les immenses richesses du sous-sol congolais.

Qui sont les figures de l’opposition ?

L’opposition peine de son côté à présenter un front uni. Il y a d’abord l’opposant historique Etienne Tshisekedi, 83 ans, fondateur de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) sous la dictature du maréchal Mobutu (1965-1997). Il n’a cessé de rejeter la réélection de M. Kabila en 2011. Il se considère comme le « président élu » du pays et nie toute légitimité au président Kabila et au Parlement. La santé d’Etienne Tshisekedi est fragile. Il a passé deux ans de « convalescence » en Belgique avant de rentrer à Kinshasa, le 27 juillet. Il est le plus souvent représenté par son fils, Félix Tshisekedi, 53 ans.

Autre figure de l’opposition : Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur de la riche province aujourd’hui redessinée du Katanga. Longtemps allié aux Kabila, il a basculé dans l’opposition et déclaré sa candidature à la présidentielle le 4 mai. Millionnaire et populaire, il est dans le viseur du pouvoir. En juillet, il a été condamné à trois ans de prison dans le cadre d’une affaire ancienne de spoliation présumée d’un bien immobilier, une condamnation qu’il qualifie de « mascarade » mais qui l’empêche de se présenter à l’élection. Il est également inculpé pour « atteinte à la sûreté de l’Etat » après avoir, selon le pouvoir, recruté des mercenaires américains. L’ex-homme d’affaires, adoubé parWashington, est perçu par de nombreux observateurs comme la seule alternative crédible. Aujourd’hui en exil, Moïse Katumbi est de facto exclu du jeu politique et risque de se retrouver en prison s’il retourne en RDC. Il a longtemps plaidé pour une candidature unique de l’opposition face à Joseph Kabila, sans parvenir à en fédérer tous les mouvements. Comme l’opposant Vital Kamerhe, qui s’oppose pour le moment à une candidature commune anti-Kabila.

Outre l’opposition classique, la RDC a donné naissance à deux mouvements citoyens, à l’instar du Balais citoyen au Burkina Faso ou d’Y en a marre au Sénégal. Créé à Goma en 2012, le mouvement Lucha (Lutte pour le changement) voit ses membres harcelés par les forces de sécurité. Plusieurs d’entre eux ont été emprisonnés. Les jeunes membres du mouvement Filimbi (« sifflet » en swahili) subissent le même sort.

Enfin, il est un outsider qui soulève beaucoup d’espoirs : le docteur Denis Mukwege, surnommé « l’homme qui répare les femmes ». Ce gynécologue, qui a notamment reçu en 2014 le prix Sakharov de la liberté de l’esprit décerné par le Parlement européen, jouit d’une immense popularité pour avoir soigné des milliers de victimes de violences sexuelles dans l’est de la RDC, et de certains soutiens, notamment au sein de la Maison Blanche. Il est vu comme un possible président « de transition », le temps que s’organisent vraiment les élections.

Quelles réactions internationales ?

Le président français François Hollande a appelé, mardi, au « respect » de la Constitution en République démocratique du Congo et à la tenue des élections prévues.

« Il s’est produit des violences en République démocratique du Congo qui sont inadmissibles, insupportables », a souligné le chef de l’Etat français lors d’une conférence de presse réunie en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, disant ignorer « encore le nombre de morts ». Avant d’enchaîner : « Mais ce qui est incontestable, c’est qu’il y a des victimes et qu’elles ont été provoquées par des exactions venant de l’Etat congolais lui-même. »

Les Etats-Unis ont, eux, une position plus ferme, arrêtée depuis plus longtemps. Thomas Perriello, l’émissaire spécial du gouvernement américain pour l’Afrique des Grands-Lacs, déclarait ainsi en juin au Monde Afrique : « Nous appuyons et défendons la Constitution, qui dit clairement que des élections doivent se tenir avant la fin de l’année (…) Nous espérons [que M. Kabila] sera à la hauteur de ce moment historique, comme il l’a été par le passé à Sun City [en Afrique du Sud, où ont été signés les accords qui ont mis fin à la deuxième guerre du Congo] ou lors de l’adoption de la Constitution. Il est capable d’avoir cette stature d’homme d’Etat ». Et de se retirer.