Neelie Kroes, à Bruxelles, en juin 2014, lorsqu’elle était encore commissaire européenne. | JOHN THYS / AFP

Editorial du « Monde ». L’affaire est consternante. L’ancienne commissaire européenne à la concurrence Neelie Kroes a été membre du conseil de direction d’une société offshore aux Bahamas jusqu’en 2009, alors qu’elle était en poste à la Commission européenne, entre 2004 et 2014. C’est ce que révèlent les documents confidentiels auxquels Le Monde a eu accès. La Néerlandaise, après avoir nié l’affaire, l’a reconnue.

Cette structure, Mint Holdings Limited, a été mise en place en 2000 avec des investisseurs des Emirats arabes unis pour racheter des actifs d’Enron, géant américain de l’énergie aujourd’hui disparu. Mme Kroes, 75 ans, explique aujourd’hui que cette société n’a jamais été opérationnelle, qu’elle n’a reçu aucun avantage financier et ajoute qu’une « erreur administrative a été commise » : sa présence en tant que directrice sur le registre de la société aurait dû être supprimée en 2002.

On aimerait la croire. Mais comment expliquer qu’elle ait « oublié », lorsqu’elle est devenue commissaire, de mentionner, dans sa déclaration d’intérêts, comme l’exige la règle européenne, cette activité qui remontait à moins de dix ans. Mme Kroes, franchement, on n’oublie pas qu’on a voulu racheter Enron ! Dès lors, c’est toute sa crédibilité qui s’effondre. Sur la prétendue non-activité de cette « coquille » dont on peut être sûr qu’elle était opaque, beaucoup moins qu’elle était vide. Sur son impartialité lorsqu’elle était commissaire à la concurrence et avait un œil sur le secteur de l’énergie...

Une attirance maladive pour l’argent

Cette affaire intervient après le cas de José Manuel Barroso, qui a rejoint cet été la banque d’affaires américaine Goldman Sachs pour la conseiller sur le Brexit. Le recrutement de l’ancien président de la Commission par la banque accusée d’avoir aidé la Grèce à maquiller ses comptes, s’il n’est pas illégal, est dévastateur dans l’opinion.

L’ensemble révèle une régression morale des élites. La Commission ne peut pas passer son temps à exiger des peuples et des Etats une probité et une éthique inspirées de Montesquieu et de Max Weber, que certains de ses membres bafouent allégrement. Cet affairisme dure depuis vingt ans, avec le recasage en 1999 du libéral allemand Martin Bangemann au conseil d’administration de l’entreprise espagnole de télécoms Telefonica, alors qu’il était encore chargé à Bruxelles… des télécoms. Leur attirance pour l’argent est maladive, alors que le contribuable européen verse à chaque commissaire une rémunération que le privé n’offre que rarement : plus de 24 000 euros brut par mois.

L’affaire est destructrice pour la Commission de Jean-Claude Juncker. Mais il ne faut pas s’y tromper. L’ancien premier ministre du Luxembourg et sa Commission traquent la fraude avec le zèle des nouveaux convertis. Si M. Juncker fait l’objet d’une campagne de dénigrement à Bruxelles, c’est parce qu’il se bat. Contre Apple et l’évasion fiscale, pour la répartition européenne des réfugiés, pour une politique budgétaire européenne moins stricte. Son action lui vaut bien des ennemis en Europe du Nord, de l’Est et chez les conservateurs allemands.

M. Juncker est un président politique d’une Commission politique. Il doit être soutenu. Il doit aller jusqu’au bout et saisir la justice du cas Kroes – afin, au minimum, de faire toute la lumière sur ses activités. S’il ne fait pas le ménage à Bruxelles, ce sont les populistes qui le feront.