LA LISTE DE NOS ENVIES

Cette semaine on dévore un roman d’Edna O’ Brien dont l’action se situe dans un petit village irlandais, on trace la route en lisant les mémoires (à la troisième personne) de Jim Harrison et on s’offre un petit voyage au temps du polythéisme antique...

ROMAN. « Les Petites Chaises rouges », d’Edna O’Brien

Dans un trou perdu d’Irlande, à l’unique pub du coin, un inconnu est penché sur son brandy. Barbe énorme, chevelure de neige. Avec son long manteau noir et ses gants qu’il retire « doigt par doigt », regardant à l’entour « d’un air gêné, comme s’il était observé », il fait penser à un moine. Ou à « un saint ». Plus tard, dans le village, on se souviendra qu’à son arrivée les chiens hurlaient à la mort.

Mais, pour l’instant, Vladimir Dragan fascine. Il vient du Monténégro et excelle dans les soins holistiques. C’est du moins ce qu’il dit. Il se fait expédier des herbes de Chine. Des potions qui sentent la bouse de vache. Bientôt, on se presse dans son cabinet. En particulier la jolie Fidelma, qui se languit dans son couple et désespère d’avoir un jour un enfant.

Mais qui se cache derrière le personnage de Vladimir Dragan ? Les Petites Chaises rouges est le roman d’une femme qui a trompé et s’est trompée. Une femme qui, bien que « déchue » aux yeux de tous dans un pays catholique très conservateur, va chercher par tous les moyens à dépasser sa honte et sa culpabilité. Florence Noiville

Sabine Wespieser

« Les Petites Chaises rouges » (The Little Red Chairs), d’Edna O’Brien, traduit de l’anglais (Irlande) par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat, Sabine Wespieser, 376 p., 23 €.

MÉMOIRES. « Le Vieux Saltimbanque », de Jim Harrison

Ces Mémoires à la troisième personne ont paru aux Etats-Unis moins d’un mois avant la mort de « Big Jim » en mars, à l’âge de 78 ans. Une brassée de souvenirs et d’anecdotes, doublée du récit de l’expérience peu banale qui a occupé ses dernières années : un petit élevage porcin, par amour des cochons. La truie Darling et ses dix porcelets qu’il emmène en balade, les fugues de Shirley, la plus rebelle de la portée… Désopilant ? Assurément, mais également émouvant, tant Jim Harrison entretient un rapport unique à la nature et maîtrise, comme Henry David Thoreau (1817-1862), « la grammaire du sauvage ».

L’auteur rappelle aussi quelques épisodes marquants de sa vie, notamment la perte qui le traumatisa au sortir de ses années de jeunesse : « La mort de sa sœur, à 19 ans, et celle de son père dans un accident de la route, lui étaient toujours inacceptables un demi-siècle plus tard. Ce drame avait créé comme une boule de rage en permanence au fond de lui. Ce fut en définitive ce qui le poussa à devenir écrivain. »

Jim Harrison, né dans le Michigan en 1937, a bien vécu, bien mangé, beaucoup bu – Le Vieux Saltimbanque est truffé d’anecdotes liées à la boisson – et découvert, durant l’été 2013, que sa sexualité s’était brusquement éteinte. La tendresse, pourtant, l’emporte toujours ici sur la nostalgie. Macha Séry

Flammarion

« Le Vieux Saltimbanque » (The Ancient Minstrel), de Jim Harrison, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent, Flammarion, 144 p., 15 €.

ESSAI. « Eloge du polythéisme. Ce que peuvent nous apprendre les religions antiques », de Maurizio Bettini

L’anthropologue Maurizio Bettini propose de revenir aux sources – et aux ressources – du polythéisme antique pour mieux cerner et, peut-être, surmonter les blocages mortifères propres aux religions monothéistes.

Partant de cas concrets, il montre par exemple tout ce qui sépare la crèche chrétienne du laraire romain, l’autel dédié aux Lares, divinités de la sphère domestique. D’un côté, la crèche manifeste, dans une scénographie verticale édifiante, la supériorité du christianisme sur les religions orientales, incarnées par les rois mages ; de l’autre, le laraire juxtapose sans hiérarchie les statuettes des Lares avec d’autres dieux d’origines variées.

Comment mieux mettre en relief la force de la « distinction mosaïque » associée aux religions du Livre, à savoir le refus de reconnaître et de dialoguer avec les dieux d’autrui ? On connaît le commandement de l’Exode : « Vous démolirez leurs autels, vous mettrez leurs stèles en pièces et vous couperez leurs pieux sacrés. Tu ne te prosterneras pas devant un autre dieu, car Yahvé a pour nom Jaloux : c’est un dieu jaloux. »

Serait-il possible aujourd’hui de promouvoir activement certaines attitudes mentales propres au polythéisme pour rendre plus sereines les relations entre les différentes religions ? C’est ce que suggère Maurizio Bettini dans ce vibrant plaidoyer en faveur de la curiosité en matière religieuse. Vincent Azoulay

Les Belles Lettres

« Eloge du polythéisme. Ce que peuvent nous apprendre les religions antiques » (Elogio del politeismo. Quello che possiamo imparare dalle religioni antiche), de Maurizio Bettini, traduit de l’italien par Vinciane Pirenne-Delforge, Les Belles Lettres, 210 p., 14 €.