A trop regarder l’impasse dans laquelle se trouve la sortie de crise dans le nord du Mali, on en arrive à oublier que le Niger, pays voisin, a connu aussi deux rébellions touareg ces deux dernières décennies. La première lancée en 1991 par la figure emblématique de la communauté touareg, Mano Dayak, s’était achevée par la signature, le 24 avril 1995, de l’accord de Ouagadougou, du nom de la capitale burkinabée. C’est d’ailleurs cet accord qui a donné naissance à la fête de la Concorde nationale célébrée chaque 24 avril au Niger.

La seconde rébellion, plus éphémère et plus récente, fut portée de 2007 à 2009 par le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), dirigé par Aghali Alambo. Elle n’a donné lieu à aucun accord formel entre l’Etat du Niger et les rebelles qui étaient, de guerre lasse, rentrés dans les rangs avec les vifs encouragements de feu Mouammar Kadhafi, leur parrain libyen.

Tous aux ordres des ravisseurs

Mais, entre ces deux rébellions touareg, il y eut un mouvement armé lancé en 1994 par le Front des forces révolutionnaires du Sahara (FARS) se réclamant de la communauté toubou, l’un des huit groupes ethnolinguistiques nigériens.

Active dans l’est et dans le nord-est du pays, cette rébellion avait à sa tête des personnalités bien connues tels Barka Wardougou et Chahaye Barkaye. C’est donc cette rébellion toubou qui décida en 1996 d’enlever, près de Bilma, à environ 1 500 km au nord-est de Niamey, le coopérant technique canadien Serge Larcher et un agent de la garde républicaine nigérienne qui était affecté à sa sécurité.

Après plusieurs mois d’hésitations, le président nigérien de l’époque, feu Ibrahim Baré Maïnassara, sans doute encouragé par Ottawa, décidait d’ouvrir des négociations directes avec les ravisseurs. Il désigne alors pour les conduire le haut-commissaire à la restauration de la paix, le lieutenant-colonel Chekou Koré Lawel, actuel patron de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE, le service de renseignement extérieur nigérien). Des notables toubou, dont le chef traditionnel Elhadji Kollemi et quelques facilitateurs s’étaient joints au négociateur en chef.

Les ravisseurs des deux otages avaient, quant à eux, posé comme préalable la tenue des négociations en territoire nigérien et la présence d’observateurs neutres et indépendants. C’est bien en cette qualité que mon confrère Moussa Kaka, correspondant de Radio France internationale (RFI) à Niamey au titre de la presse internationale, Assane Soumana, actuel directeur de la rédaction de L’Office national d’édition et de presse (ONEP) pour le compte des médias publics, et moi-même, représentant l’hebdomadaire Le Démocrate au titre de la presse non gouvernementale, avions embarqué un matin du mois de mars 1997 à bord de l’Hercules C-130 des forces armées nigériennes (FAN) pour assister aux négociations en vue de la libération de Serge Larcher et de son compagnon de captivité nigérien.

Parti de la base aérienne de Niamey, l’avion se pose d’abord à Agadez pour embarquer le préfet de la région, le colonel Illias Al-Mahadi et quelques collaborateurs puis atterrit à Dirkou, à quelque 1 500 km de Niamey. Aussitôt débarqués, nous nous mettons en convoi à bord de plusieurs véhicules tout-terrain Toyota pour rallier le lieu des négociations. Nous étions alors entièrement aux ordres des ravisseurs qui nous ordonnaient tantôt d’avancer, tantôt de ralentir, et quelquefois de nous arrêter carrément. Toutes sortes d’injonctions fantaisistes que nous respections strictement. A quoi bon prendre le risque de les fâcher avant même le début des discussions et alors même que nous n’étions accompagnés, comme exigé par les ravisseurs, par aucune force armée nigérienne régulière ?

Pas de rançon

Au terme d’une progression lente et aléatoire, on arrive dans une vaste vallée entourée par des dunes de sable. Les rebelles nous intiment l’ordre d’installer notre base-vie autour d’un puits, connu dans la région sous le nom de Sara, à près de 2 000 km de Niamey, sur la frontière libyenne, non loin du fort militaire de Madama, construit au temps de la colonisation française. Dans la partie sud de notre camp, surveillé de près par les rebelles perchés sur le toit des dunes, se trouve le « quartier administratif » qui accueille les tentes du négociateur en chef, du préfet de région et des notables toubou. C’est là qu’ont lieu les négociations nocturnes. Au sud se trouve notre quartier, celui des observateurs, des facilitateurs et du personnel affecté à l’organisation logistique de notre vie précaire : il fait 50 °C en journée sous la tente et zéro la nuit. Le peu d’eau que nous puisons au puits suffit à garantir nos repas et un brossage de dents quotidien. Ici, le bain est un luxe.

Dans le désert, quiconque contrôle l’eau tient aussi la réalité du pouvoir. Nous n’étions donc pas peu fiers de voir la nomenklatura qui occupe la partie sud de notre village improvisé venir chercher de l’eau dans notre modeste quartier. Nos conditions de vie paraissaient supportables si les négociations duraient deux ou trois jours. Notre stock de provisions alimentaires avait été constitué sur la base des discussions rapides. Signe de la tension qui commençait à gagner notre base-vie, un jour le muezzin de l’unique mosquée s’en prend à moi pour avoir tenté de procéder à sa place à l’appel à la prière de fadjr, celle de l’aube. Il est vrai que j’avais oublié de réciter la bonne formule.

En tout cas, iI devenait de plus en plus évident qu’il fallait aller vite dans les discussions avec les rebelles, qui réclamaient non pas une rançon conséquente, mais la libération des leurs, arrêtés pour rébellion, ainsi qu’une meilleure représentation des Toubou dans la gestion des affaires publiques.

Faire monter les enchères

Nous sommes déjà au cinquième jour des discussions et toujours pas de libération en vue des deux otages. Les ravisseurs décident alors de faire un geste. Celui d’amener les trois journalistes et l’un des facilitateurs rencontrer les deux captifs afin de témoigner qu’ils sont réellement en vie et bien traités. Ce jour-là, en début d’après-midi, Moussa Kaka, Assane Soumana, Barkaï Mollimi et moi embarquons à bord d’une Toyota aux côtés d’un groupe de rebelles toubou armés. Une autre Toyota de rebelles armés nous escortait. Nous ne savons pas si nous reviendrons, ni si nous partons plutôt grossir le rang des otages, mais nous avons sans hésiter tous décidé de faire cet aller simple.

Sur le trajet, l’ambiance est bon enfant : certains rebelles parlent entre eux en toubou, d’autres discutent en kawarien, une langue proche du kanouri, ma langue maternelle. Le convoi est lent et les routes enfoncées dans les grottes sont tortueuses, avec des pentes raides allant par endroits jusqu’à 10 %. Après avoir parcouru une trentaine de kilomètres en plus d’une heure et demie, on arrive enfin à la cache des ravisseurs. On comprend vite que celle-ci a été aménagée à la hâte pour notre rencontre et qu’il en existe certainement une autre, la vraie, que nous ne verrons pas.

Sur place, on retrouve l’otage canadien vêtu d’une blouse bleue dans laquelle il flotte, le visage envahi par une barbe de plusieurs mois de captivité. Ici, la température dépasse largement les 50 °C degrés le jour avant de repasser en dessous de zéro au cours de la nuit.

Pendant que nous discutons avec Serge Larcher et son compagnon d’infortune sous la surveillance des geôliers, un repas d’accueil est sommairement préparé au bois de chauffe. Au menu, des pâtes, probablement d’Italie arrivées là par la Libye, au concentré de tomate sautées à l’huile avec beaucoup de sel. Nous sommes finalement invités autour de petites bassines pour partager le repas par groupe de cinq. Inutile de dire qu’il faut savoir manger vite et chaud pour s’en sortir. Nous engloutissons les pâtes plus par peur de nos hôtes qu’en raison de leur qualité culinaire.

A la fin du repas, la nuit a déjà commencé à tomber sur la grotte, les rebelles décident de nous raccompagner à notre camp, au puits de Sara. Nous sommes enfin soulagés de ne pas rester grossir le rang des otages. Mais, pour nous, la plus grande la difficulté est de trouver les mots justes pour dire au revoir à Serge Larcher et à son compagnon nigérien. Au bout de sept jours de négociations sous les tentes, les FARS ont finalement consenti à libérer l’otage nigérien, mais pas le Canadien. Une stratégie pour faire monter les enchères.

Ce n’est qu’un an et demi plus tard, en 1998, que l’otage canadien Serge Larcher a été libéré après la signature d’un accord de paix entre Niamey et les rebelles du Front des forces révolutionnaires du Sahara (FARS) le 21 août.

Seidik Abba, journaliste et écrivain nigérien, auteur de Rébellion touarègue au Niger. Qui a tué le rebelle Mano Dayak ? (éd. L’Harmattan, 2010).