L’usine Renault de Cléon, en Seine-Maritime, construit les modèles Zoé de la marque. Ici en juillet 2015. | PHILIPPE WOJAZER / REUTERS

Stopper la désindustrialisation ? C’est possible, estime le patronat français. La France peut non seulement enrayer le déclin actuel, mais même se réindustrialiser, affirme le Groupe des fédérations industrielles (GFI), dans un document publié jeudi 22 septembre.

A l’approche de l’élection présidentielle, cette structure qui, au sein du Medef, regroupe l’essentiel des syndicats de l’industrie propose une série de mesures permettant, selon elle, de redonner des couleurs à la production tricolore. En un quinquennat, le poids relatif de l’industrie dans l’économie pourrait ainsi passer d’environ 11 % à 15 %. Une gageure alors qu’Alstom vient d’annoncer l’arrêt de la fabrication de locomotives à Belfort, et que plusieurs entreprises industrielles sont en grande difficulté, à l’image du groupe métallurgique alsacien Sotralentz (1 100 personnes), qui vient de demander son placement en redressement judiciaire.

« Oui, on peut casser la tendance au recul de l’industrie, affirme Philippe Darmayan, patron d’ArcelorMittal France et président du GFI. L’essentiel de la tâche revient aux entreprises elles-mêmes. La révolution en cours autour du numérique et de l’usine du futur leur permet de regagner en compétitivité. Mais au-delà, l’Etat a aussi son rôle à jouer, pour que le cadre, notamment fiscal, soit favorable. »

Les responsables patronaux ont déjà entamé une tournée des candidats à la présidentielle pour les sensibiliser au sujet. Ils ont déjà rencontré Alain Juppé, Bruno Le Maire et François Fillon (Les Républicains).

« Une moyenne de 20 % dans l’Union européenne »

Le défi semble gigantesque. Depuis un demi-siècle, la part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée de l’ensemble de l’économie n’a cessé de baisser. Elle est passée de 25 % en 1961 à 11 % en 2010, et n’a guère varié depuis, d’après l’Insee. Une lente décrue liée à la fois aux difficultés des usines et à la montée en puissance des activités de services. Faire remonter le poids de l’industrie à 15 % en 2022 reviendrait à effacer en cinq ans seulement quinze années de désindustrialisation.

« L’objectif est ambitieux mais réaliste, dans la mesure où la moyenne est de 20 % dans l’Union européenne, et où l’Allemagne est à 22,6 % », plaide M. Darmayan. Depuis la crise de 2008-2009, la part de l’industrie dans le PIB a déjà regagné quelques points en Allemagne et aux Etats-Unis.

Patrick Artus est bien moins optimiste. « Réindustrialiser la France serait bénéfique pour l’économie, reconnaît l’économiste dans une note publiée mercredi 21 septembre par la banque Natixis. Nous ne croyons malheureusement pas que ce soit possible. » Le combat est perdu, explique-t-il : l’industrie bleu-blanc-rouge fabrique des produits trop bas de gamme, pour lesquels elle se trouve en concurrence avec des pays comme l’Espagne, où les coûts sont nettement plus faibles. « La baisse des salaires ou des impôts des entreprises qui serait nécessaire » pour rendre la France de nouveau compétitive est « trop importante pour qu’on puisse sérieusement envisager qu’elle soit mise en place ».

Augustin Landier, professeur à la Toulouse School of Economics, se montre encore plus critique. Pour lui, la désindustrialisation est le signe d’une économie moderne, et il est vain de vouloir contrer une évolution séculaire.

« Imaginez si, en 1960, on s’était dit : “mettons le paquet pour que l’agriculture revienne à la part du PIB qu’elle avait en 1920” ! La France a désormais plus vocation à produire des idées et des concepts que des machines. Cela ne veut pas dire que l’industrie est morte, mais sa part dans la richesse produite diminue à mesure que nous nous développons dans les autres secteurs. »
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Le volontarisme du patronat paraît d’autant plus spectaculaire qu’après trois années de redressement progressif, l’industrie bleu-blanc-rouge est de nouveau à la peine depuis le début de 2016. Au deuxième trimestre, la production industrielle a fléchi de 0,2 % par rapport à la même période de l’année précédente. Elle est retombée à son plus bas niveau depuis l’automne 2014 en données corrigées des variations saisonnières. La relance de l’investissement des entreprises a également été stoppée.

Pour une politique de l’offre

Dans ces conditions, faire repartir l’industrie plus vite que l’ensemble de l’économie s’annonce difficile, même si les entreprises ont restauré leurs marges grâce à la chute des prix du pétrole et au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE).

Pour y parvenir, le GFI propose un plan classique. Pas question de relancer la demande intérieure. L’industrie française ne disposant pas d’une offre assez en phase avec ce qu’achètent les consommateurs, une telle action entraîne avant tout une hausse des importations, et creuse le déficit du commerce extérieur, comme c’est le cas depuis 2015.

Sans surprise, le patronat préconise plutôt une politique d’offre, des mesures destinées à « rétablir un écosystème plus favorable » aux entreprises.

« Le gouvernement actuel a déjà largement engagé ce travail avec le CICE, le suramortissement des investissements, la création de la Banque publique d’investissement, etc., note M. Darmayan. Il faut continuer. »

A ce titre, le GFI préconise d’accentuer la flexibilité sur le marché de l’emploi, dans la droite ligne de la loi El Khomri, et surtout de réduire massivement les charges et les taxes pesant sur les entreprises. Au programme : un allégement des charges sociales de 30 milliards d’euros, la suppression de l’impôt sur la fortune qui « freine la transmission des entreprises », une baisse des taxes sur la production, un encadrement de la fiscalité verte, et surtout une forte diminution de l’impôt sur les sociétés : son taux serait ramené en quelques années de 33 % à 22 % ! En parallèle, l’Etat réduirait nettement son budget.

Les concepteurs du projet admettent que pareille baisse des dépenses publiques pourrait avoir un effet récessif. Mais il devrait être contrebalancé, selon eux, par les vertus de cette remise à plat : l’amélioration de la compétitivité des entreprises et l’afflux d’investissements étrangers. Pas sûr néanmoins qu’un tel programme puisse recueillir assez de soutiens pour être mis en œuvre.