Une tête de M. CHAT dans Paris. | EMMANUELLE JARDONNET

Un chat, quatre roses et un oiseau. Cet ensemble de dessins réalisés au marqueur sur un support de la SNCF, destiné à être recouvert, n’aura été visible que quelques heures par les voyageurs de la gare du Nord, à Paris. Mais il pourrait coûter la prison à son auteur, M. CHAT, alias Thoma Vuille, 39 ans.

Cela fait presque vingt ans, déjà, que ses chats jaune d’or adressent de grands sourires dans l’espace public sans demander, en général, de permission pour le faire. Depuis le 15 septembre, le créateur du facétieux animal, lui, ne sourit plus du tout. Lors d’un procès resté confidentiel devant la 29e chambre correctionnelle de Paris, le procureur de la République a en effet requis à son encontre trois mois de détention ferme pour « récidive » dans le cadre de « dégradations » à la SNCF.

Lire le portrait : Sur les traces de M. CHAT

Il y a deux ans, en octobre 2014, la RATP, cette fois, lui avait fait un procès qui avait tourné court. Elle réclamait au graffeur 1 800 euros de dommages et intérêts pour des chats peints dans un couloir de la station Châtelet sur un mur sur le point d’être recouvert de carrelage. Son avocate avait soulevé la nullité de la convocation pour des irrégularités dans la formulation des poursuites, et l’affaire, qui n’avait pas été tranchée sur le fond, avait été abandonnée.

« Je me suis fait avoir »

Que s’est-il passé depuis ? En septembre 2015, alors qu’il effectuait une correspondance entre un métro et un RER à la gare du Nord, Thoma Vuille a pu constater que la station regorgeait d’œuvres de street art, à la suite de l’opération Quai 36 organisée par la SNCF. « Je me suis dit, tiens, bonne nouvelle, les choses bougent, raconte-t-il. Puis en attendant mon train, je vois ce support blanc, destiné à être recouvert d’un habillage, ça a été plus fort que moi. »

Le dessin incriminé de M. CHAT, sur un support amené à être recouvert, à la gare du Nord. | M. CHAT

Quelques mois plus tard, début 2016, il reçoit une amende de 300 euros pour d’autres petits dessins, réalisés sur des pubs dans le métro. Si le retentissement du procès avorté de 2014 lui avait apporté de nombreux soutiens (tant de la part de fans anonymes que d’élus), il avait aussi créé de l’animosité dans le milieu du graffiti. « Certains m’ont dit : “Assume au lieu de pleurer, nous, quand on se fait attraper, on paye, on va en prison.” Bref, je suis passé pour le fayot de service pour avoir seulement voulu me défendre, confie l’artiste. Car je ne considère pas que je dégrade les murs sur lesquels j’interviens. » Ces réflexions l’ont conduit à infléchir sa position : « Pour ne pas faire d’histoires, plutôt que de nier ou de contester la notion de dégradation, j’ai préféré reconnaître ma culpabilité pour cette amende. Mais jouer le jeu m’aura emmené plus loin, puisque c’est sur cette amende que repose in fine l’accusation légale de récidive. »

Au printemps, lorsqu’il est convoqué par la brigade anti-tag pour le dessin de la gare du Nord, il opte à nouveau pour des aveux. « L’inspecteur m’a assuré que je n’encourais qu’un rappel à la loi, je lui ai fait confiance et signé la déposition. Quand j’ai finalement reçu une convocation devant le tribunal correctionnel pour “récidive”, juste avant l’été, j’ai compris que je m’étais fait avoir. »

« Je suis peut-être un peu naïf »

L’artiste ne considère pas comme un vandale. « Je n’ai pas une démarche de rebelle, je ne suis pas en guerre ni en conquête de territoire. Je suis au contraire quelqu’un de bienveillant, et mon geste est positif : mes chats sourient aux passants, aux usagers. Je suis juste un humain qui a envie d’exprimer son humanité aux autres humains dans des endroits inattendus, et on fait de moi un criminel. Je suis peut-être un peu naïf, mais je reste persuadé que peindre sur un mur n’est pas un délit passible de prison. »

Il dénonce « un excès de zèle de la part des inspecteurs et une virulence incompréhensible de la part du procureur » d’autant plus étonnants que lors du procès, la SNCF n’était pas représentée, et n’a formulé aucune demande de dommages et intérêts en plus de l’amende.

« Même lorsque je dessine un chat sur une pub, dans le fond, ce petit détournement fait que les gens regardent, prennent des photos, les partagent, je ne fais de mal à personne ! » Pour son avocate, Me Agnès Tricoire, « la nature particulière de ses œuvres doit être prise en considération : les dessins de mon client, comme ceux de Keith Haring dans le métro new-yorkais dans les années 1980, sont plus des cadeaux dans des univers tristes que des dégradations ». Elle juge « la réquisition du procureur d’une dureté incroyable ».

L’artiste avoue être « un peu paumé » dans cette affaire. A ceux qui le soupçonnent de simplement vouloir « faire du buzz », comme lors du procès de 2014, il répond : « Je n’ai pas besoin de ça pour vivre de mon travail, ça n’ajoute rien, et ça me coûte cher en frais d’avocat ! Je communique aujourd’hui sur ce procès parce que cette question de prison me choque en tant que citoyen, et je pense que ça peut interpeller les autres citoyens. »

L’avocate a une nouvelle fois fait valoir la nullité de la procédure. « La poursuite était rédigée de façon aussi calamiteuse que lors du précédent procès, puisqu’à nouveau, ce ne sont pas les bons articles du code qui sont visés. » Le 13 octobre, le tribunal tranchera sur cette question comme sur le fond.