Marine Le Pen, féministe ? Non, répond une vingtaine d’organisations, qui a lancé, jeudi 22 septembre, le site Internet Droits des femmes contre les extrêmes droites. Le noyau dur de cette coalition est constitué d’associations féministes de sensibilités diverses (Collectif national pour les droits des femmes, Osez le féminisme !, Femmes solidaires, Les Effronté-e-s, Coordination pour le droit à l’avortement et à la contraception, Marche mondiale des femmes, etc.), auxquels se sont joints des syndicats, associations et partis politiques de gauche (CGT, FSU, Vigilance syndicale antifasciste, Ligue des droits de l’homme, Europe Ecologie-les Verts, PCF, etc.), habitués à faire alliance (c’était par exemple le cas contre la loi travail).

Les militantes observent que le vote Front national (FN) rassemble de plus en plus de femmes, même si elles continuent à lui accorder moins de suffrages que les hommes. « L’écart se réduit, il était de 6 points en 2002 et seulement de 2 points en 2012, observe Mme Rojtman. Mais il n’est pas stabilisé. Pour Marine Le Pen, capter l’électorat féminin est un enjeu important. »

« Notre objectif est de démasquer le discours des extrêmes droites, en particulier du FN », explique Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes, à l’origine de l’initiative. Pourquoi cibler en particulier la présidente du parti, Marine Le Pen, alors que s’ouvre une campagne électorale au cours de laquelle tous les candidats vont prendre position sur le sujet ? « Parce qu’elle se pose en défenseure des droits des femmes, répond Suzy Rojtman. Elle cite Simone de Beauvoir. En tant que féministes, nous avons une responsabilité. Nous devons nous exprimer. »

Violence au sein de la famille et avortement

C’était le cas notamment dans une tribune publiée en janvier par L’Opinion, après les agressions de centaines de femmes à Cologne en Allemagne, auxquelles des migrants avaient largement pris part, qui a particulièrement fait bondir. En tant que « femme française libre, qui a pu jouir toute sa vie durant des libertés très chères, acquises de haute lutte par nos mères et nos grands-mères », la présidente du FN redoutait que « la crise migratoire signe le début de la fin des droits des femmes ».

Selon le collectif, Mme Le Pen n’est pas ce qu’elle prétend être. « Le discours féministe est instrumentalisé au service du racisme et de la xénophobie, analyse Mme Rojtman. Selon elle, seuls les étrangers seraient auteurs de violence. Comment le savoir quand aucune statistique ethnique n’existe ? Nous condamnons ce qui s’est passé à Cologne. Nous sommes aux côtés des victimes, mais nous disons que d’autres violences existent, notamment dans les chambres à coucher. Dans le discours du FN la famille est toujours présentée comme une protection, alors que c’est au sein de la famille que se déroulent la plupart des violences. »

L’autre grand motif d’inquiétude est le droit à l’avortement. Même si elle se positionne aujourd’hui pour le maintien en l’état de la loi Veil, les déclarations passées de Marine Le Pen ont marqué les esprits. « C’est extrêmement ambigu, analyse Mme Rojtman. Elle dit qu’elle est pour l’IVG, mais en 2011 elle était favorable à son déremboursement. En 2012, elle réclamait la liberté de ne pas avorter et préconisait l’adoption prénatale, qui est proche de la gestation pour autrui. »

Décrypter les prises de parole

Sur la famille, les militantes se rapportent au programme de 2012 qui prônait la création d’un revenu parental, potentiellement attractif pour les femmes précaires, mal payées, employées à temps partiel, mais soupçonné d’être un instrument du retour des mères au foyer, dans la lignée du discours du « vieux » Front national.

Le site Internet entend consigner, décrypter et mettre en relation les prises de parole des responsables nationaux, les votes des élus FN à l’Assemblée nationale et au Parlement européen et les politiques menées dans les municipalités FN. Il sera alimenté pendant la campagne et au-delà.

Il vise également « les mouvements traditionalistes et familialistes qui instrumentalisent le discours féministe ». La Manif pour tous, très engagée dans le combat contre la loi sur le mariage pour tous, mais aussi contre la GPA (comme de nombreuses féministes de gauche) en fait partie, selon ces militants. « L’idée est de produire des articles les plus lisibles possibles pour que le plus grand nombre puisse y avoir accès, explique Luz Mora, du collectif Vigilance syndicale antifasciste. Les militants associatifs, politiques et syndicaux y trouveront aussi des arguments pour s’opposer à un discours qui se diffuse de plus en plus dans la société. »

Jusqu’à présent, associations et personnalités s’étaient exprimées sur ce sujet en ordre dispersé. Cette union suppose de mettre sous le boisseau des divergences. « Sur la laïcité, nous avons des sensibilités différentes, constate Mme Rojtman. Là il s’agit d’être ensemble, nous cherchons le compromis. »