Par Jacques Véron, démographe, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED)

Le commandait Cousteau annonçait, il y a plus de vingt ans, que le monde allait périr « étouffé sous les berceaux » ; le grand responsable de toutes nos angoisses était pour lui la « surpopulation ». Le généticien Albert Jacquard préférait le terme de « surnombre ». Lorsqu’ils s’exprimaient, la population mondiale comptait quelque 5 milliards d’habitants, elle en compte plus de 2 milliards de plus aujourd’hui.

La seule responsabilité de la croissance démographique dans la crise environnementale que nous connaissons ne saurait être ainsi décrétée.

Que le doublement du nombre des êtres humains sur Terre depuis le début des années 1970 constitue un formidable défi pour l’humanité, qui pourrait le nier ?

Mais la « population » est loin d’être la cause de tous les problèmes environnementaux actuels : même si la population mondiale se stabilisait de manière immédiate, ce qui est impossible, tous les problèmes environnementaux ne seraient pas pour autant résolus. Au moment où certains mettent en avant un « choc démographique » à venir ou estiment que les conséquences du changement climatique pourraient être surrévaluées, il ne paraît pas inutile de rappeler quelques évidences.

D’abord, la croissance démographique rapide est tout autant une conséquence qu’une cause de la pauvreté que l’on continue d’observer dans de trop nombreux pays du monde. Les populations défavorisées restent prisonnières d’un cercle vicieux : dans des familles très nombreuses et pauvres, les jeunes filles ont beaucoup moins de chances d’être scolarisées, participant très jeunes aux activités domestiques. Arrivées à l’âge adulte, elles tendent à reproduire le modèle de comportement de leurs mères, caractérisé par une faible pratique contraceptive et un nombre élevé d’enfants. Dans ce cas, les situations de pauvreté perdurent.

Une meilleure instruction

Ensuite, l’action sur le rythme de croissance de la population ne peut avoir des conséquences immédiates. Par conséquent, à court et même moyen terme, la contrainte démographique est un fait dont il faut s’accommoder. Le ralentissement de la croissance démographique ne peut en aucun cas être un préalable aux actions en faveur du développement indispensables pour améliorer le sort de chacun.

Des moyens de contraception doivent, certes, être disponibles pour que la fécondité puisse diminuer, mais il ne suffit pas de rendre la contraception accessible à tous, par une large distribution de préservatifs ou par des incitations à l’usage du stérilet ou de la pilule, pour que la taille des familles diminue.

C’est par l’instruction et des actions en faveur de la santé maternelle et infantile qu’il est possible d’améliorer la capacité des populations les plus pauvres à effectuer de véritables choix en termes de constitution des familles. Nécessaire, une meilleure instruction n’est pas pour autant suffisante.

Un développement partagé par tous

Enfin, le développement économique et social est un impératif, même à court terme, non seulement pour améliorer les conditions de vie des populations, mais également pour que la baisse de la fécondité puisse se produire dans les pays où elle reste élevée : en effet, il existe une rationalité de la forte fécondité lorsque l’on est pauvre.

Climatosceptiques et « démographosceptiques » peuvent bien se renvoyer la balle et continuer d’ignorer la complexité des relations entre population et environnement (elle se manifeste dans de nombreux domaines, de l’urbanisation aux migrations, qui peuvent, par exemple, être provoquées par des catastrophes climatiques mais aussi affecter elles-mêmes l’environnement). Mais ce n’est pas la façon dont il convient d’aborder ces questions.

Le prix Nobel d’économie Amartya Sen considérait que le problème de population était avant tout un problème de développement. Ne sous-estimons pas le défi démographique, mais la régulation de la population mondiale ne peut passer que par un développement partagé par tous.