Un combattant du Front Fatah Al-Cham (nouvelle appellation du Front Al-Nosra), à Alep, le  5 août. | AMMAR ABDULLAH / REUTERS

Déjà qualifiés de « comploteurs et fossoyeurs de la révolution » en Syrie par le chef djihadiste Abou Mohammed Al-Joulani, samedi 17 septembre, les Etats-Unis sont désormais considérés comme « une force d’occupation », un « agresseur et un ennemi mécréant » par son mouvement, le Front Fatah Al-Cham (nouvelle appellation du Front Al-Nosra, l’ancienne branche d’Al-Qaida en Syrie), qui a durci le ton dans un communiqué publié par le groupe, vendredi 23 septembre.

Le mouvement djihadiste était la cible militaire désignée de l’accord américano-russe du 9 septembre, qui prévoyait, en cas de trêve prolongée, de procéder à des échanges de renseignements en vue de mener des bombardements conjoints contre ses troupes. Al-Joulani avait prévenu, le 17 septembre, qu’en cas de nouvelles attaques Washington « trouverait le peuple syrien sur sa route ». Or, les Américains se sont fait, ces dernières semaines, de nouveaux alliés en Syrie, non pas aux côtés de Kurdes, comme c’est le cas depuis un an, mais cette fois du côté des groupes rebelles syriens sunnites soutenus par l’intervention turque dans le nord du pays, officiellement pour combattre l’organisation Etat islamique (EI). Ce qui provoque le courroux du Front Fatah Al-Cham et des divergences croissantes entre mouvements armés.

Diversion

Comme une boule lancée dans un jeu de quilles, l’offensive militaire déclenchée par la Turquie et appuyée par les Américains dans le nord de la Syrie pourrait redistribuer les cartes au sein de la rébellion syrienne. L’entrée de vingt-cinq soldats des forces spéciales américaines, le 16 septembre dans la ville d’Al-Raï, où se déroule l’essentiel des combats entre les forces turco-rebelles et l’EI, avait déjà provoqué de fortes tensions entre groupes rebelles sur le terrain. Cette fois, les querelles affectent les relations entre le mouvement salafiste Ahrar Al-Cham et l’ex-Front Al-Nosra, les deux étant alliés au sein de l’Armée de la conquête, à ce jour la plus puissante coalition armée rebelle.

Le 20 septembre, le conseil religieux d’Ahrar Al-Cham a autorisé ses commandants militaires à participer à l’opération turque au nom de la « nécessaire présence d’une faction islamique sur les territoires libérés, pour ne pas laisser le champ libre aux forces contre-révolutionnaires [kurdes] du PKK et du PYD ». Le texte ne faisant qu’avaliser la participation d’une brigade locale du groupe à l’opération turque.

En réponse, le Front Fatah Al-Cham demande désormais instamment à Ahrar Al-Cham de « reconsidérer » sa position, qui « ne peut mener qu’à des résultats catastrophiques pour le djihad en Syrie ». Les batailles dans le nord du pays – « menées au nom d’intérêts étrangers » – ne seraient, pour lui, qu’une diversion visant à affaiblir le vrai combat : briser le siège d’Alep ainsi que les opérations à Hama et dans la banlieue de Damas. La coopération avec les Etats-Unis, redevenu un « ennemi », relève dès lors de la trahison. Une position proche de celle émise par le prédicateur palestino-jordanien Abou Mohammed Al-Maqdissi, figure du salafisme djihadiste et compagnon de route d’Al-Qaida, qui a qualifié les groupes rebelles collaborant avec la Turquie et les Etats-Unis d’« apostats ».

Pression accrue

Ce communiqué de Fatah Al-Cham accroît la pression sur son allié salafiste alors qu’il étale déjà ses divisions au grand jour et que le projet de fusion entre les deux groupes achoppe justement sur les désaccords entre deux des principaux courants qui composent Ahrar Al-Cham. Le premier, dit « politique », cherche à s’insérer dans le jeu régional en prévision de négociations de sortie de conflit et considère qu’un jour ou l’autre, l’issue de la guerre civile passera par un accord politique : il ne veut donc pas se couper du soutien des pays du Golfe et de la Turquie. Le second, dit « djihadiste », est proche des thèses d’Al-Qaida et considère que l’insurrection ne triomphera que par les armes. Pas grand-chose, en revanche, les sépare au niveau de la doctrine religieuse, salafiste.

Il y a quelques semaines, la katiba Ashida, une unité militaire d’Alep représentant l’aile djihadiste d’Ahrar Al-Cham a fait défection en dénonçant les « dernières orientations déviantes du mouvement ». Le 21 septembre, deux figures radicales du groupe, les Egyptiens Abou Al-Yaqadan Al-Masri et Abou Shouayb Al-Masri ont annoncé leur départ dans un tweet laconique : « Je quitte Ahrar Al-Cham ». Ils avaient notamment des responsabilités dans les camps de formation religieuse et d’entraînement militaire du mouvement dans la région d’Alep.

Comme en écho à ces départs, Iyad Charar, membre fondateur et conseiller du chef de l’aile politique du mouvement, a accusé, lui, à mots couverts le Front Fatah Al-Cham de tentatives répétées de déstabilisation, dans un entretien accordé à un site d’informations syrien le 19 septembre. Fatwa contre fatwa, donc. L’irruption de la Turquie dans le jeu syrien ne fait que cristalliser les tensions entre les courants salafiste et djihadiste, parmi les plus puissants de la rébellion armée syrienne sur la question des rapports à entretenir avec les puissances étrangères intervenant dans cette guerre.