Des salariés de PSA Aulnay manifestent à Paris, le 23 mars 2012. | PIERRE VERDY / AFP

Le 7 septembre, le couperet est tombé à Belfort. Le constructeur ferroviaire français Alstom a annoncé l’arrêt de la production de trains dans l’usine de la cité du Lion, d’ici à 2018. Elle sera transférée à Reichshoffen, dans le Bas-Rhin. Cette décision menace près de 400 salariés. A huit mois de l’élection présidentielle, l’affaire prend en quelques heures une tournure politique.

François Hollande affirme que « tout sera fait pour que le site de Belfort soit pérennisé [pour] plusieurs années ». Pour le premier ministre Manuel Valls, il est « hors de question que le site ferme ».

Cette intervention de l’Etat, à la dernière minute, permettra-t-elle de sauver l’usine ? A l’issue d’une dizaine de jours de négociations entre l’Etat et Alstom, un comité central d’entreprise extraordinaire est convoqué lundi 26 septembre. Et le gouvernement doit présenter le 30 septembre « un projet global » pour l’ensemble des sites du groupe.

Les salariés de Belfort seront alors fixés sur leur sort et pourront évaluer si les promesses de l’exécutif ont été tenues, ou pas.

Ce scénario n’est pas sans en rappeler d’autres, identiques, ces dernières années, où des annonces industrielles viennent télescoper l’agenda politique. C’est ce qu’il s’était par exemple produit avec l’usine de PSA Peugeot Citroën, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), en 2012. « Ce qu’il se passe avec Alstom, ça nous évoque notre combat », se souvient José De Queiroz, ouvrier dans l’établissement d’Aulnay et délégué du personnel CFDT.

« Nous aurons rendez-vous… »

En juin 2011, une note interne au groupe automobile fuite dans la presse. PSA envisagerait de fermer l’usine d’Aulnay en 2014. Le sujet devient alors un sujet brûlant de la campagne. Interpellés par les syndicats du groupe entre les deux tours de la présidentielle, le candidat François Hollande tente de les rassurer : « Après l’élection, si les Français me choisissent, nous aurons rendez-vous… »

Quelques jours après, il bat Nicolas Sarkozy et devient président de la République. Mais le 12 juillet 2012, le constructeur automobile français annonce un plan global de 8 000 suppressions de poste et la fermeture de l’usine d’Aulnay, où travaillent plus de 3 000 salariés. Et comme avec Alstom ces derniers jours, le gouvernement socialiste réagit et engage un bras de fer. Le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, affirme dans la foulée : « Nous n’acceptons pas en l’état le plan. »

François Hollande se montre également catégorique : « L’Etat ne laissera pas faire. Nous pouvons faire en sorte qu’Aulnay reste un site industriel », lance-t-il, lors de la traditionnelle interview du 14 juillet, soit deux jours après l’annonce de PSA. Au bout du compte, en décembre 2013, l’usine fermera. Le gouvernement socialiste n’aura rien pu faire.

« Un coup de com' du gouvernement »

Près de trois ans après, « l’amertume » est toujours présente chez Tanja Sussest, ancienne syndicaliste au sein du Syndicat indépendant de l’automobile (SIA), alors majoritaire dans l’usine PSA à Aulnay. « Beaucoup de salariés ont cru en Arnaud Montebourg », affirme-t-elle.

« A l’époque on avait interpellé François Hollande, avant le débat d’entre deux tours avec Nicolas Sarkozy, à l’extérieur du plateau de télévision, se souvient la syndicaliste. Il nous avait assuré qu’on se reverrait, mais il n’a jamais rien fait pour nous. Au final, Aulnay a fermé. »

François Hollande, alors candidat, interpellé par les salariés de PSA Aulnay, avant le débat de l’entre deux tours, le 2 mai 2012. | FRED DUFOUR / AFP

Selon Mme Sussest, aux yeux de qui « la situation à Alstom rappelle ce qu’il s’est passé à Aulnay, surtout après le passage de Montebourg », le constat est limpide : « Ce sont les patrons qui décident en France. Si un dirigeant veut fermer il ferme et les politiques ne peuvent rien changer à cela. » « Ils ne peuvent pas ou ils ne veulent pas ? » se demande Thomas Baudouin, délégué syndical central adjoint de la CGT dans le groupe PSA.

Cette colère et cette désillusion se font également sentir chez M. de Queiroz :

« Malgré toute notre mobilisation, nos quatre mois de grèves, nos mouvements d’actions dans les gares de métro, les péages, rien n’y a fait… François Hollande nous avait fait plein de promesses, certains ont voté pour lui, pour ça. On s’y accrochait, ça nous a donné une lueur d’espoir. Mais c’était juste un coup de com' du gouvernement. »

« Une impression de bricolage »

Cette impuissance du politique face à la décision de dirigeants d’un grand groupe industriel ne surprend pas l’économiste Sylvain Fontan :

« Si l’usine ou l’entreprise est vouée à disparaître, elle disparaîtra. Ces interventions politiques en catastrophe donnent une impression de bricolage. Alors que ce sont des pans de l’économie qui sont en difficulté depuis longtemps, et les politiques le savent. S’ils mettaient en place une vraie politique industrielle, ils n’auraient pas à gérer ces situations en catastrophe, qui, à l’arrivée, décrédibilisent leur action. »

L’ancien ministre de l’économie, et candidat à la primaire à gauche, Arnaud Montebourg, le 14 septembre à Belfort, devant l’usine Alstom. | SEBASTIEN BOZON / AFP

Mais pour M. Baudouin, de la CGT, « dans ces situations, les politiques sont plus là pour accompagner la fermeture que pour l’empêcher ». Si à Aulnay-sous-Bois – mais aussi à Florange chez ArcelorMittal (Moselle), ou à Clairoix (Oise) avec les « Conti » (Continental) – cette volonté politique, du moins dans les paroles, n’a pas permis d’inverser la tendance, elle n’a toutefois pas été totalement inutile.

« Dans le rapport de forces entre salariés et dirigeants, le poids de l’Etat peut avoir son utilité à la marge, sur le timing de la fermeture, les reclassements. Et avec les politiques vient aussi tout le poids médiatique, fait remarquer M. Fontan. Là, les dirigeants peuvent se demander si le plan social en vaut vraiment la chandelle face à la mobilisation médiatique et la réputation que cela entraîne. »

« Bouger le curseur »

Ainsi, pour Mme Sussest, aujourd’hui salariée dans une fonderie à Charleville-Mézières (Ardennes) et syndiquée chez Force ouvrière, « la mobilisation de l’Etat, qui s’est faite notamment parce qu’on était en période électorale, a permis de faire bouger le curseur par rapport à ce que proposait PSA au début ». Résultat, selon elle, trois ans après : « Tous les salariés qui l’ont souhaité ont été reclassés dans l’entreprise, même si certains ont dû déménager. »

M. de Queiroz fait parti de ces salariés reclassés dans le groupe. Il travaille désormais, avec sept anciens d’Aulnay, dans la partie recherche et développement de l’usine de la Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine). Mais il a appris ces derniers jours que sa section allait être fermée. La direction souhaite les transférer, cette fois-ci, dans les Yvelines.

« Cela fait dix-huit mois que je suis à La Garenne, on pensait être tranquille… Ils savaient pertinemment, quand ils nous ont reclassés d’Aulnay, que ce service allait fermer, alors pourquoi le faire », regrette-t-il. Mais face à ce nouveau bouleversement, José de Queiroz le sait très bien, « on n’est pas 400, on est 11 à être concernés là, alors les politiques, les médias, cette fois-ci on ne les verra pas… »