Un requin dans le lagon de Bora Bora, le 3 décembre 2015. | GREGORY BOISSY / AFP

Dans les allées du centre de conférence international de Johannesburg, un grand gaillard habillé d’un large short détonne. Certes, sa prothèse métallique apparaît aux yeux de tous. Mais c’est surtout l’histoire d’Achmat Hassiem qui surprend. Celui qui a vu sa jambe droite arrachée par un requin un jour de 2006 est devenu l’un de ses plus fervents défenseurs.

« Quand c’est arrivé, j’étais déprimé, mais pas en colère contre les requins, raconte-il. Mon père m’a toujours expliqué que l’océan leur appartenait et, aujourd’hui, avec cent millions de squales tués par an, c’est l’homme qui est un prédateur pour le requin, et non l’inverse. » La star paralympique de natation sud-africaine, de retour de Rio, insiste : « On oublie trop souvent que le requin est indispensable à l’écosystème marin. »

Un quart menacé d’extinction

Recruté par l’organisation non gouvernementale américaine Pew Charitable Trusts, il milite pour le renforcement de la protection d’espèces supplémentaires de requins et de raies pendant la 17e réunion de la Convention internationale sur le commerce d’espèces sauvages menacées d’extinction (Cites) qui se déroule dans la capitale économique sud-africaine jusqu’au 5 octobre.

Le Sri Lanka, les Maldives et les îles Fidji demandent en particulier que soient mieux protégés le requin soyeux, le requin-renard et la raie diable des mers. Si ces requêtes sont appuyées par deux tiers des 182 pays participant à la Cites, ces trois espèces seront inscrites dans l’annexe 2. Ce classement réglementera alors leur exploitation commerciale. Le déclin atteint 70 % à cause de la surpêche, alimentée notamment par la consommation en Asie de soupes d’ailerons, dont la valeur ne cesse d’augmenter. Les requins souffrent aussi d’une dégradation continue de leur habitat.

« Sur un millier d’espèces de requins, un quart est menacé d’extinction », rappelle Ian Campbell, responsable du programme requins chez WWF, le Fonds mondial pour la nature. « Cette Cites est l’occasion de poursuivre la dynamique enclenchée il y a trois ans à Bangkok quand plusieurs espèces de requins exploitées commercialement avaient pour la première fois reçu une meilleure protection », estime-t-il.

« Approche indispensable »

Une inscription à l’annexe 2 oblige les pays exportateurs à réaliser une évaluation de leurs ressources. « Cela les force à collecter des données de commerce par espèces et à instaurer des systèmes de surveillance adaptés. C’est une approche préventive indispensable car aujourd’hui, il n’y a aucune régulation », constate Ian Campbell. Spécialiste des requins chez Pew, Luke Warwick renchérit : « Si rien n’est fait, la Cites décidera un jour de bannir tout commerce et tout le monde sera perdant. »

Le Japon est le fer de lance de l’opposition aux trois propositions de classement, dont il conteste l’efficacité. « Il n’y a pas suffisamment de preuves scientifiques, et c’est une mesure très difficile à mettre en place car la plupart des prises de ces requins par les pêcheurs sont accidentelles », assure Shingo Ota, de l’agence japonaise de la pêche. Le représentant nippon concède toutefois que « cette nouvelle disposition serait problématique pour les intérêts des pêcheries industrielles ».

Le chef de la délégation des îles Fidji est confiant. De nombreux pays soutiennent sa demande de mieux protéger le diable des mers, une large raie qui donne naissance à un seul individu tous les deux ou trois ans : « Si ces requins et raies venaient à disparaître, nous n’aurions plus de plongeurs du monde entier qui viendraient les observer au large de nos côtes, explique Aisake Batibasaga, l’écotourisme nous rapporte 100 millions de dollars fidjiens par an [45 millions d’euros], c’est beaucoup pour notre petit pays. »