Plusieurs centaines de salariés d’Alstom se sont rassemblés le 27 septembre devant le siège de l’entreprise à Saint-Ouen. | SEBASTIEN BOZON / AFP

Ils étaient là pour « se battre » et tenter de « sauver » leur emploi. Au son des sifflets et des cornes de brume, plusieurs centaines d’« Alsthommes » – un millier, selon la CGT – se sont rassemblés devant le siège de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), mardi 27 septembre. « Tous unis pour Belfort », pouvait-on lire sur une banderole accrochée à l’entrée du siège, soigneusement gardé par le personnel de la sécurité. Vêtus pour certains de leur blouse de travail aux couleurs de l’entreprise – rouge et gris –, pour d’autres, d’un gilet fluorescent, ils sont venus dire « non à la fermeture » du site de Belfort.

Régis, 48 ans dont 32 ans dans l’entreprise, venu grâce au train affrété par l’intersyndicale (CFE-CGC, CGT, CFDT, FO), n’a pas de mots assez forts pour dénoncer la stratégie du groupe. « On ne fabrique plus rien à Belfort, c’est honteux. On transfère nos compétences à l’étranger et pendant ce temps-là, les actionnaires s’engraissent. » Avec nostalgie, il se souvient pourtant de sa « satisfaction » lorsqu’en 1984, il fait son entrée dans ce qui est à l’époque considéré comme le fleuron de l’industrie française. « Quand je suis arrivé, il y avait 2 500 salariés, on fabriquait tout de A à Z. On rentrait avec une tôle et on sortait avec une loco. Aujourd’hui, on est devenu une usine d’assemblage. Comment expliquer qu’Alstom vende 800 locomotives en Inde et que pas une seule ne soit fabriquée en France ? ». Ce qu’il attend désormais, c’est que la direction ramène le « boulot » en France. Et pour y parvenir, il compte ne « rien lâcher », comme en 1994, lorsque le site de Belfort a été fermé « pendant sept semaines ».

Les salariés d'Alstom Belfort prennent leur TGV pour manifester au siège social
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Images : AFP

Posté juste à côté, Olivier, les épaules carrées et le visage rasé de près, pense, lui, qu’en annonçant l’arrêt de la production de trains à Belfort, la direction d’Alstom a tenté un « coup de bluff ». « Ils mettent la pression sur le gouvernement pour récupérer le contrat Régiolis, parce qu’ils n’ont obtenu que 250 locomotives sur les 1 000 prévues dans le contrat », pense deviner le quadragénaire.

« Le gouvernement ne fait rien »

Mais les salariés ne se bercent pas d’illusions. Ils savent que les commandes publiques, qui seront annoncées d’ici quelques jours, ne seront pas suffisantes et ne concerneront pas uniquement leur site. « On ne fabrique pas de TER, donc la plupart des commandes ne seront pas pour nous », regrette Fanny, 29 ans. Rentrée comme prestataire puis embauchée il y a huit ans, la jeune femme, qui attend désormais des « solutions », critique la position du gouvernement. « L’arrêt du fret nous a beaucoup pénalisés et il n’y a eu aucune volonté de développer le ferroutage alors qu’on ne cesse de parler d’écologie. Le gouvernement ne fait rien. » Alors que, selon elle, les salariés ont plusieurs fois tenté de tirer la sonnette d’alarme. « Lorsque Montebourg est venu, on lui a posé des questions sur le fret. Pareil pendant la visite de Macron, mais rien n’a été fait. »

Son voisin, cheveux poivre et sel et lunettes vissées sur le crâne, s’en prend, lui, au manque d’investissements :

« Une entreprise qui n’investit pas ne vit pas. Il faut moderniser les installations et arrêter de se fixer sur le TGV. On a beaucoup tardé à développer la gamme des locomotives électriques, par exemple. Vendre du TGV devient difficile, tous les pays n’en ont pas les moyens. »

« La confiance est rompue »

Ils sont également nombreux à vilipender la communication « désastreuse » du PDG, Henri Poupart-Lafarge, qu’ils jugent « brutale » et « inhumaine ». « Et dire qu’il y a encore trois semaines, on fêtait de nouvelles embauches », glisse l’un d’eux au cours d’une conversation avant d’être interrompu par l’arrivée du secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez. Face caméra et micro à la main, le syndicaliste « salue » la présence des salariés et demande à la direction de dire « une seule phrase : “On ne fermera pas le site de Belfort” ».

Quelques minutes plus tard, une poignée d’« alsthommes » s’échauffe et franchit la barrière du site. Arrêtés par le personnel de sécurité, ils finissent par s’asseoir et attendre, comme les autres, que la délégation de salariés et de représentants syndicaux, reçue par le PDG et le DRH du groupe, sorte. Au bout d’une heure, Olivier Kohler, délégué CFDT de Belfort, prend la parole. Les traits figés, il déplore « une nouvelle partie de violon ». « La même que lors du CCE extraordinaire d’hier. » « La direction a argumenté sur le fait que le transfert à Reichshoffen [Bas-Rhin] était tout à fait justifié », rapporte-t-il, en appelant les salariés à « rester mobilisés jusqu’à la semaine prochaine suivant l’état des discussions entre l’Etat et la direction générale ».

Se partager le travail, innover et ramener une partie de la production à Belfort, voilà pourtant la solution, selon les salariés d’Alstom. Quant à accepter d’être transféré sur un autre site ? Certains y réfléchissent déjà. Mais pour d’autres, comme Fanny, la réponse est déjà toute trouvée. « C’est pas la peine de poursuivre l’aventure ailleurs pour qu’on nous dise dans un an que l’usine ferme. Il y a quelques mois, on nous disait bien que Belfort n’était pas en danger. Et aujourd’hui, on nous annonce la fermeture, sans même parler de plan social. La confiance est rompue. » En attendant qu’elle revienne, l’intersyndicale a annoncé l’arrivée d’un expert qui aura pour tâche d’analyser la stratégie commerciale du groupe.