Des ouvriers travaillent sur le site de Saint-Martin-du-Touch, près de Toulouse. | ERIC CABANIS / AFP

D’élection en élection, le profond décalage qui existe entre le profil sociologique des élus et celui des Français se confirme, aggravant le sentiment de défiance de la population vis-à-vis de ses représentants. Au-delà de la question de son électorat, le Front national (FN) est-il plus représentatif des ouvriers que les autres partis ?

Une sous-représentation généralisée des ouvriers

Dans les états-majors des partis, sur les listes de candidats aux différents scrutins ou parmi les élus à l’échelon local, départemental ou régional, les ouvriers sont systématiquement sous-représentés, quelle que soit la formation. Le Front national (FN) d’un côté, et le Parti communiste (PCF) et le Front de gauche de l’autre, semblent toutefois faire un tout petit mieux que la gauche et la droite en termes de représentativité.

  • L’exemple des conseillers municipaux

Michel Koebel, professeur à l’université de Strasbourg, a analysé les données du Répertoire national des élus, qui recense la quasi-totalité des conseillers municipaux, soit plus de 520 000. Proportionnellement, le FN rassemble plus d’ouvriers que certains autres partis : 3,3 % contre 0,86 % pour Les Républicains (ex-UMP), 0,93 % pour les écologistes, 1,62 % pour les socialistes et 2,1 % pour les autres partis d’extrême droite. « Le Front national n’est toutefois pas le champion en la matière, décrypte Michel Koebel :

« Le FN est dépassé par les partis d’extrême gauche (hors Parti communiste) – avec 3,6 % d’ouvriers – et surtout par le PC, qui en compte [à lui seul] 4,3 %. La proportion d’ouvriers au FN est supérieure à celle du PC uniquement dans les villes comptant entre 1 000 et 3 500 habitants, et seulement d’un cheveu (6,1 % contre 6 %). »
  • L’exemple des villes de plus de 30 000 habitants

Dans une étude du Cevipof portant sur les maires des 264 villes de plus de 30 000 habitants, Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, observe que les employés et les ouvriers du secteur privé sont encore plus rares en 2014 (0,4 %) qu’en 2008 (1,2 %). Dans ce cas, le FN ne fait pas mieux que les autres partis en termes de représentativité : « les seuls maires ouvriers se rencontrent en 2014 sous l’étiquette PCF ou Front de gauche », écrit Luc Rouban.

  • L’exemple des départementales de 2015

Alors qu’ils représentent plus de 12 % de la population française, les ouvriers ne représentent, en moyenne, que 2 % des candidats aux départementales de 2015. Selon une enquête Harris Interactive, deux partis font un petit peu mieux : le Front national (FN) d’abord, où les ouvriers représentent 4 % des candidats, et le Front de gauche, où ils représentent 3 % des candidats.

A l’issue du scrutin, le décalage socio-démographique entre le profil des élus et celui des Français s’est encore accentué et les ouvriers ne représentent qu’une « infime proportion » des conseillers départementaux : 18 sur 4 108, soit moins de 1 %. Cette quasi-absence d’élus ouvriers se confirme dans tous les partis : ils sont moins de 1 % à gauche, 1 % à droite et 2 % au FN.

  • L’exemple des régionales de 2015

Parmi les quelque 21 400 candidats aux régionales de décembre 2015, seuls 4,2 % sont ouvriers. Le Cevipof note une exception uniquement pour les listes d’extrême gauche, où les ouvriers représentent 14,2 % des candidats. L’extrême droite fait un petit peu mieux que la moyenne, avec 5,2 % d’ouvriers.

Mais là encore, les candidats ne sont pas les élus. Un « écrémage social » s’opère, pour tous les partis, entre la candidature du premier tour et l’accès au siège de conseiller régional, et les ouvriers représentent finalement moins de 1 % des élus. Luc Rouban en a recensé quatorze, qu’ils soient en activité ou à la retraite, dont cinq au FN, trois au PS, et un seulement chez Les Républicains (LR) et un au Parti communiste ou au Front de gauche.

Le FN, plus représentatif des classes populaires

Si le FN sous-représente également les ouvriers, il apparaît en revanche plus représentatif que d’autres partis lorsque l’on élargit l’analyse aux classes populaires. « Le FN apporte effectivement un certain renouvellement socio-démographique, avec des élus plus jeunes et davantage de représentants des classes les plus modestes », explique Luc Rouban.

  • L’exemple des départementales de 2015

A l’issue des départementales de 2015 par exemple, la surreprésentation des cadres et des professions libérales est plus importante parmi les élus de gauche (33 %) et de droite (38 %) que parmi ceux du FN (14 %). Plus de 30 % des conseillers départementaux FN, en revanche, sont des employés.

  • L’exemple des régionales de 2015

« Les candidats et les élus des listes FN sont les plus jeunes et les moins éloignés de la structure socioprofessionnelle du pays, ce qui, en soit, constitue un argument politique puissant », écrivent dans la Revue politique et parlementaire Luc Rouban et Martial Foucault, du Cevipof, au lendemain des élections régionales.

« Entre 2010 et 2015, le FN régional a même supplanté le Front de gauche (FDG) ou le PCF dans la représentation des classes populaires, puisque ses élus en sont issus en 2015 à concurrence de 29,3 % contre 24,4 % des élus FDG ou PCF.
[…] Une lecture statistique inverse, mettant en lumière la distribution des catégories socioprofessionnelles dans l’ensemble des étiquettes, montre que le FN réunit à lui seul 43 % de tous les artisans commerçants, 43 % aussi de tous les employés ou anciens employés du privé, 36 % des ouvriers du privé et 32 % des employés du secteur public élus dans les assemblées régionales. »

Pour le sociologue Julian Mischi, ces résultats ne correspondent toutefois pas à une volonté réelle du parti de promouvoir une élite issue des classes populaires :

« Le FN bénéficie en partie d’un vote ouvrier, mais sans mettre spécialement en avant la promotion de militants ouvriers, sans engagement réel sur cette question. Il recherche avant tout des élus et des responsables issus des classes supérieures afin de se donner une certaine légitimité. Le parti a une base populaire mais n’a pas de stratégie de valorisation des classes populaires. »
Lire l’enquête : Les ouvriers de la République