Le maire de Londres, Sadiq Khan, et Jeremy Corbyn, à la tribune du congrès du Labour, le 27 septembre, à Liverpool. | PAUL ELLIS / AFP

Sadiq Khan n’a pas prononcé une seule parole déplaisante à l’égard de Jeremy Corbyn, le très à gauche leader du parti travailliste qui vient d’être plébiscité par les adhérents. Mais son discours devant le congrès du Labour, mardi 27 septembre à Liverpool, contenait un message certes subliminal mais appuyé : avec M. Corbyn à la tête du parti, les travaillistes n’ont aucune chance de revenir au pouvoir.

Après avoir félicité en passant « Jeremy » pour sa réélection, M. Khan n’a pas prononcé une seule fois son nom. En revanche, il a implicitement présenté sa propre victoire à Londres comme un exemple à suivre pour revenir aux affaires.

Répéter à trente-huit reprises le mot « pouvoir » dans un speech de quelques minutes visait clairement à enfoncer le clou : « Nous ne pouvons changer les choses que si le Labour est au pouvoir », a-t-il déclaré. Et lorsqu’il a lancé sa chute – « il est temps que nous remettions le Labour au pouvoir ! » –, la majorité des délégués s’est levée pour l’applaudir chaleureusement.

Entre-temps, M. Khan a fait l’étalage de tout ce que la gauche pourrait améliorer ou réaliser si elle revenait au pouvoir : s’attaquer à la pénurie de logements abordables, améliorer la qualité de l’air, travailler à l’intégration des étrangers et des minorités, etc. Au contraire, lorsque le Labour est écarté du pouvoir, on a « une campagne référendaire sur l’Union européenne éprouvante et clivante », des résidents européens pris en otage du débat sur le Brexit, et des agressions xénophobes qui se multiplient.

Sadiq Khan pour l’adversaire de Jeremy Corbyn

Modéré et ayant siégé comme ministre dans le gouvernement de Gordon Brown, Sadiq Khan est montré du doigt comme « blairiste » par les proches de Jeremy Corbyn. L’hostilité est réciproque. Cet été, lors du scrutin pour l’élection au poste de leader, le maire Labour de Londres a voté et fait campagne pour Owen Smith, l’adversaire de M. Corbyn. Ce dernier « a échoué à gagner la confiance et le respect des Britanniques, a taclé M. Khan. Il a été incapable de déployer l’autorité nécessaire pour convaincre les gens de rester dans l’UE ». A la veille du triomphe de M. Corbyn, le maire est revenu à la charge. Le Labour court « le plus sérieux danger d’éclatement et de mort qu’il a connu depuis les années 1980 », a-t-il averti.

Sadiq Khan, fort de son élection à la mairie de Londres où il a succédé, en mai, au conservateur Boris Johnson, aujourd’hui ministre des affaires étrangères, est bien placé pour vanter les délices du pouvoir et stigmatiser l’impuissance de l’opposition. Le Labour ne doit pas « seulement faire de beaux discours mais aussi passer à l’acte », a-t-il encore lancé aux congressistes de Liverpool, en se félicitant des succès municipaux du Labour dans de nombreuses grandes villes du pays comme Bristol, Liverpool, Manchester et Birmingham.

Entre modérés et corbynistes

Maniant l’anaphore – « c’est seulement quand le Labour est au pouvoir que… », a-t-il répété –, il a prôné une reconquête par le terrain local et raillé ceux qui, comme Jeremy Corbyn, déploient plus d’énergie pour transformer le Labour en mouvement de masse que pour tenter de regagner des sièges de députés. Interrogé par la BBC à la sortie du congrès, il a affirmé que le Labour ne pouvait pas se contenter d’être « un parti protestataire », qu’il ne pouvait pas rester « dans sa zone de confort » et n’était pas fait pour que ses adhérents « se sentent mieux ».

Alors que la querelle interne entre modérés et corbynistes, entre députés et adhérents, n’a nullement été évacuée à Liverpool, et que le congrès doit s’achever mercredi 28 septembre après-midi par un discours de Jeremy Corbyn, le maire de Londres se pose en chef de file des opposants. Elu après avoir soigneusement évité d’apparaître en compagnie de M. Corbyn, il ne doit son élection qu’à lui-même. Il parie probablement sur un futur effondrement électoral du parti, compte tenu de la cote de popularité catastrophique de son leader dont les positions pro-immigration ne passent pas et dont les talents pédagogiques pour défendre ses positions anti-austérité sont limités.

Sadiq Khan répète qu’il n’est candidat à rien et qu’il a, à la mairie de Londres, « le plus formidable job du monde ». Pour l’instant, le vote massif des adhérents (61,8 %) assoit la légitimité de M. Corbyn et son emprise sur le parti. Mais M. Khan, âgé de 45 ans, prend date pour l’avenir.