A la Commission européenne en juillet 2016. | Francois Lenoir / Reuters

L’initiative est originale, mais pourrait faire grincer des dents dans la « bulle » bruxelloise, du côté de la Commission européenne et surtout du Conseil (la réunion des États membres), réputé pour son manque de transparence. Une douzaine d’élus verts européens, dont les Françaises Eva Joly et Michèle Rivasi, le Belge Philippe Lamberts, ou l’Allemand Sven Gielgold, devaient lancer mardi 27 septembre la plate-forme EUleaks.eu.

Il s’agit d’un site web sur lequel les « lanceurs d’alerte » sont invités à déposer des documents jugés d’intérêt public, en toute sécurité, assurent les élus. Leur anonymat sera garanti, les destinataires des documents n’ayant aucun moyen d’entrer en contact avec eux à l’exception du mail (s’ils en laissent un). Après s’être connectées au travers du navigateur Tor, nécessaire pour accéder à la plateforme, les sources devront remplir un questionnaire précis, destiné à vérifier leur sérieux et celui des documents. Elles pourront indiquer la manière dont elles souhaitent que leurs informations soient exploitées, et leur degré de sensibilité.

Frustration

Les élus convoitent expressément des informations liées à leurs sujets de compétence, et au processus de décision bruxellois : documents liés à la très controversée négociation du traité transatlantique (TTIP ou TAFTA), aux autorisations de mise sur le marché des OGM, aux émissions de gaz polluants, en lien avec le scandale Volkswagen… Ou tout ce qui a trait à la fraude et à l’évasion fiscale.

« À titre d’exemple, si elle avait existé lors de l’affaire Volkswagen, cette plateforme nous aurait permis de révéler très tôt les dysfonctionnements des contrôles en Europe. Car beaucoup savaient que ceux-ci étaient truqués. De la même façon, peut-être aurions-nous eu connaissance de la société offshore de Neelie Kroes » (récemment révélée dans le cadre des « Bahamas Leaks »), assure Eva Joly.

L’eurodéputée ajoute :

« La maison Europe souffre d’un problème opacité, comme l’a montré l’affaire des LuxLeaks sur laquelle, nous, députés européens, avons eu beaucoup de mal à obtenir des informations de la part de la Commission européenne. »

L’initiative est née d’une frustration. Initiateurs de la commission spéciale « LuxLeaks » du Parlement de Strasbourg, suite aux révélations LuxLeaks de fin 2014, les élus Verts ont vite été confrontés à la difficulté d’accéder aux documents, sensibles du « groupe code de conduite ». Cette émanation du Conseil européen, regroupant des représentants des Etats membres, se réunit régulièrement depuis la fin des années 1990. Ses « minutes » sont une mine d’or pour comprendre les responsabilités des uns et des autres dans l’absence relative de lutte au niveau européen, jusqu’à récemment, contre les abus de la concurrence fiscale entre capitales.

Soutien d’Antoine Deltour

EUleaks.eu est aussi un moyen de lancer un appel à la transparence, qui devrait avoir un certain écho à Bruxelles, alors que la Commission Juncker a du mal à éteindre l’incendie du scandale Barroso, son ancien président passé chez Goldman Sachs. Et qu’elle est ébranlée par les révélations des Bahamas Leaks concernant l’ex-commissaire Neelie Kroes, ayant omis de déclarer durant son mandat à Bruxelles, les parts qu’elle possédait d’une société enregistrée dans ce notoire paradis fiscal.

L’initiative a reçu la bénédiction d’Antoine Deltour, le lanceur d’alerte des LuxLeaks : « Je soutiens EUleaks car la démocratie ne peut pas s’épanouir dans l’opacité. Les institutions politiques ont besoin de lanceurs d’alerte », déclare-t-il dans un mail adressé à Eva Joly. Les Verts ont aussi poussé au printemps dernier, suite au scandale Panama Papers, pour l’adoption d’une directive européenne destinée à protéger les lanceurs d’alerte. Mais sans trop d’illusion : ce n’est toujours pas d’actualité côté Commission, la seule à avoir l’initiative des lois européennes.

Le lancement n’est pas non plus dénué d’arrière-pensées politiques : c’est une manière, pour les Verts, de se faire entendre, dans un hémicycle strasbourgeois où la « grande coalition » conservateurs-sociaux-démocrates, mise en place suite aux dernières élections européennes de 2014, pour contrer la percée eurosceptique, agit un peu comme un étouffoir.

« Bahamas Leaks » : la Commission européenne dans l’embarras
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