Daniel Kablan Duncan, premier ministre ivoirien, le 31 mai 2016, à Abidjan. | SIA KAMBOU / AFP

Daniel Kablan Duncan, qui détient le plus long mandat de premier ministre dans l’histoire ivoirienne depuis sa nomination en novembre 2012, est à la tête d’un gouvernement qui peut se targuer d’enregistrer une croissance de 9 %. Les bonnes performances économiques de son pays, seulement quatre ans après la fin de la crise post-électorale, en ont fait un « lion » de l’économie ouest-africaine et de Daniel Kablan Duncan, un homme très sollicité lors des rencontres Africa 2016, qui se sont tenues les 22 et 23 septembre à Paris et ont rassemblé plus de mille entreprises.

Comment qualifiez-vous les relations économiques entre la France et la Côte d’Ivoire aujourd’hui ?

Daniel Kablan Duncan Elles avaient été un peu distendues du fait de la crise post-électorale. Après cette crise, un certain nombre de PME avaient quitté la Côte d’Ivoire, mais elles reviennent en force. Depuis l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara [en mai 2011], il y a un renforcement de notre coopération. Les échanges commerciaux étaient de l’ordre de 673 milliards de francs CFA [environ 1 milliard d’euros], alors que nous sommes aujourd’hui autour de 1 174 milliards de francs CFA, ce qui fait 75 % d’augmentation sur la période 2012-2015. Les affaires reprennent au niveau des échanges mais aussi des investissements. La France est le premier investisseur en matière de stocks, mais elle ne l’est pas en matière de flux puisqu’elle se classe quatrième. On note toutefois qu’en 2015, il y a eu une progression. Le passage à Abidjan de Pierre Gattaz [président du Medef] avec plus de 250 hommes d’affaires, des conseillers du commerce extérieur et des ambassadeurs de la région, a donné un élan important.

La France investit beaucoup dans le secteur agricole et l’agro-industrie. Le groupe Cémoi, par exemple, transforme le cacao en chocolat. Nous pensons que c’est par le secteur privé que nous allons renforcer nos relations, les diversifier et toucher au mieux certains aspects comme la création d’emplois et la formation des jeunes. Cette coopération est donc très importante. Des sociétés françaises spécialisées dans les nouvelles technologies, les bases de données et les centres d’appels misent aussi sur la Côte d’Ivoire. Ce sont des domaines nouveaux et nous sommes heureux de travailler avec elles.

A quelques semaines de la COP22, qui se tiendra à Marrakech du 7 au 18 novembre, où en êtes-vous en matière d’environnement et d’énergies renouvelables ?

Il faut d’abord définir ce que l’on considère comme énergies renouvelables. La production hydraulique en fait-elle partie ou non ? Aujourd’hui, l’hydroélectrique constitue 35 % de la production électrique et le thermique 65 %. Si on prend le renouvelable au sens strict avec des énergies solaires, éoliennes et biomasse, je pense que la production des énergies renouvelables représentera environ 16 % de la production totale en 2020, sachant que nous visons une production électrique globale de 4 000 mégawatts (MW).

Nous avons aussi aujourd’hui de 10 à 12 millions de tonnes de déchets végétaux. Des partenaires vont développer une production de 46 MW avec une partie de ces déchets, principalement issus des palmiers. En tant que premier producteur de cacao, il y a aussi des possibilités de recyclage des cabosses. Idem pour l’anacarde, dont nous sommes également le premier pays producteur mondial.

La Côte d’Ivoire doit pouvoir aller de l’avant. On a un émissaire spécial chargé de l’aménagement et du développement durable. Actuellement, nous incluons dans tous les projets l’aspect environnemental. La Côte d’Ivoire a reçu plusieurs prix en matière de défense de l’environnement. Nous pensons que cela coûte moins cher de faire de la prévention que de corriger ensuite les dégâts causés par la pollution.

Quels sont les secteurs porteurs de votre croissance ?

En moyenne depuis 2015, il y a eu beaucoup de réformes structurelles et sectorielles qui ont été menées et nous avons fait du secteur privé, national et international, le moteur de notre croissance. L’Etat ne peut pas toujours jouer un rôle régalien.

Si vous prenez le premier plan qui allait de 2011 à 2015, il y avait à peu près 11 000 milliards de francs CFA d’investissements prévus, dont 60 % issus du secteur privé. On a finalement atteint 63 %, ce qui prouve que le secteur privé est bien le moteur de notre croissance. Dans le nouveau plan 2016-2020, il s’agit de 30 000 milliards de francs CFA et nous estimons que la part du secteur privé se situera entre 65 % et 70 %.

La Côte d’Ivoire va donc devenir incontournable dans la sous-région, mais il reste des défis. En tant que premier producteur mondial de cacao [1,8 million de tonnes], nous voulons amplifier la transformation sur place pour passer de 33 % aujourd’hui à 50 % en 2020. On discute donc avec différents partenaires de développement dont la Banque africaine de développement (BAD) pour obtenir le financement d’entreprises, comme Cémoi. En matière d’agricultures vivrières (riz, maïs, igname), les besoins sont également très importants.

Envisagez-vous aussi également d’accélérer la coopération Sud-Sud ?

Absolument, et notamment avec le Maroc, la Tunisie, l’Algérie… C’est comme ça que nous pourrons échanger nos expériences et aller de l’avant. Le roi Mohamed VI vient régulièrement à Abidjan et notre coopération se renforce puisque nous avons signé plus de 90 accords bilatéraux. Le dossier qui avance bien en ce moment est celui de la baie de Cocody, notamment en ce qui concerne la dépollution de la lagune d’Abidjan. Nous voulons y faire une marina et que le centre d’Abidjan redevienne le Manhattan d’Afrique !

Que représente l’apport des nouvelles technologies dans votre économie ?

Elles représentent 7 % du PIB. Notre objectif est de passer à 15 % d’ici 2020. Cette part se développe grâce aux téléphones cellulaires, à la banque mobile et au développement de la fibre optique, puisque 2 000 km ont déjà été installés. Nous voulons arriver à 7 000 km en 2017.

Le terrorisme a frappé la Cote d’Ivoire en mars à Grand-Bassam. Comment êtes-vous engagés dans la lutte contre ce fléau ?

Pour y parer, le gouvernement a engagé 80 milliards de francs CFA pour renforcer les forces de sécurité, investir par exemple dans des caméras de vidéosurveillance ou doter les forces de sécurité de lunettes à vision nocturne. Nous avons aussi investi dans des hélicoptères afin de pouvoir agir plus rapidement.

Au cœur du premier fab lab ivoirien
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Nous collaborons avec plusieurs Etats pour coordonner nos actions et échanger des informations. Nous coopérons avec la France et le Maroc, qui a un système de renseignement très efficace, mais aussi avec Israël. Il est essentiel de connaître les déplacements des gens susceptibles de commettre des attaques. Dans la sous-région, on est en train de mettre en place des cartes d’identité qui vont permettre, grâce à des puces électroniques, de mieux contrôler les déplacements. En sécurisant le pays, on rassure évidemment les investisseurs et on se donne la capacité de réagir rapidement.