Des civils et des secouristes dans le quartier rebelle d’Al-Shaar, dans l’est d’Alep, mardi 27 septembre. | KARAM AL-MASRI / AFP

Bombarder, encercler, affamer. Pendant des mois, des années, sans discontinuer. Jusqu’à ce que l’ennemi, à bout de forces, décide de baisser les armes et d’évacuer la zone qu’il défendait. C’est la stratégie poursuivie par le régime syrien depuis 2011 pour mater l’insurrection anti-Assad. Une guerre d’étouffement, lente et cruelle, qui convient bien à l’armée loyaliste, patchwork de milices et d’unités régulières, aux capacités offensives limitées.

La technique, aux relents moyenâgeux, vient de porter ses fruits dans deux poches rebelles, assiégées depuis plusieurs années : la ville de Daraya, en banlieue de Damas, vidée de sa population à la fin août, et le quartier d’Al-Waer, en périphérie d’Homs, dont les combattants sont en cours d’évacuation. Alep-Est, le fief des insurgés dans le nord de la Syrie, une zone autrement plus grande et plus peuplée (250 000 habitants), pourrait-elle, de guerre lasse, finir par hisser elle aussi le drapeau blanc ? C’est le pari que font Damas, Moscou et Téhéran, les trois alliés qui, depuis l’effondrement, le 19 septembre, de la trêve péniblement négociée par les Etats-Unis et la Russie, soumettent ses habitants à des bombardements d’une férocité inouïe.

« Ce sont les frappes les plus dures de ces cinq dernières années, confie le docteur Hamza Al-Khatib, l’un des trente et quelques praticiens encore présents dans les quartiers orientaux, joint sur la messagerie instantanée WhatsApp. Les bombes employées ont une capacité de destruction jamais vue. » Selon le Centre de documentation des violations, une ONG syrienne de défense des droits de l’homme, 377 Alépins ont péri dans ces raids aériens entre le 20 et le 26 septembre, des civils, dans l’immense majorité.

« Crime de guerre »

La fréquence des attaques aériennes a diminué mardi 27 septembre, journée durant laquelle « seuls » 11 morts ont été enregistrés, mais les quatre jours précédents, pas moins d’une centaine de frappes s’abattaient toutes les vingt-quatre heures sur la ville, causant une moyenne de 80 à 90 morts. « On n’ose plus bouger de chez soi, on ne pense même plus à manger et de toute façon, il est de plus en plus difficile de trouver de la nourriture à des prix abordables, raconte Aiham Barazi, un journaliste syrien. Tout ce que l’on fait, c’est attendre la mort. »

L’aviation russe est accusée d’avoir employé, pour la première fois, des bombes perforantes, dites bunker buster, destinées à détruire des infrastructures souterraines. L’accusation repose sur des photos de cratères d’une demi-dizaine de mètres de profondeur, découverts en plusieurs endroits de la ville, et sur des témoignages des riverains, parlant d’un « tremblement de terre » qui fait s’effondrer les immeubles aux environs de la frappe. Selon l’envoyé spécial de l’ONU sur la Syrie, Staffan de Mistura, l’emploi de cette arme dans une zone aussi peuplée, de même que le recours, déjà avéré, à des bombes incendiaires et à sous-munitions, pourrait constituer un « crime de guerre ».

« On n’ose plus bouger de chez soi, on ne pense même plus à manger. Tout ce que l’on fait, c’est attendre la mort », raconte Aiham Barazi, un journaliste syrien

Ces armes sophistiquées visent en partie des cibles militaires. La brigade Tajamu Fustakim, l’un des principaux groupes armés d’Alep, affilié à l’Armée syrienne libre (ASL), la branche modérée de la rébellion, a perdu dans les bombardements des derniers jours sa cantine, ses réserves de nourriture et de fuel et une partie de son arsenal, qui étaient enfouies sous le sol. « Nous sommes bien sûr affectés par toutes ces pertes, reconnaît sous couvert d’anonymat un commandant de la brigade, déployé sur le front de Salahedin, au sud de la ville. Mes hommes n’ont pas mangé de pain depuis trois jours. Au lieu de faire fonctionner le générateur dix heures par jour, on se contente de deux heures. »

Le blitz russo-syrien s’acharne aussi sur les quartiers sud, comme Seïf Al-Daoula et Soukari, qui figurent parmi les plus peuplés. Ce pourrait être une manière de faire fuir ces habitants, en prélude à une percée terrestre. Mardi, les forces loyalistes se sont d’ailleurs emparées d’un petit secteur, Farafirah, au pied de la citadelle. Mais rares sont les observateurs à croire en l’imminence d’une offensive au sol d’envergure. Le régime n’a ni les ressources ni l’expertise nécessaires à une telle opération et il est peu probable que ses alliés chiites, iraniens ou libanais soient prêts à sacrifier leurs hommes dans des combats de rue forcément très meurtriers.

Stratégie de la terre brûlée

Pour l’instant, l’essentiel de la stratégie russo-syrienne vise à casser les infrastructures civiles d’Alep-Est. La salle des urgences de l’hôpital Omar-Ben-Abdelaziz, construite sous terre, a par exemple été détruite dans un récent bombardement, peut-être mené au moyen d’armes anti-bunker. Vendredi, deux des quatre casernes des casques blancs, chargés des premiers secours, avaient été pulvérisées. La station d’extraction d’eau de Bab Al-Nayrab a également été mise hors service, privant d’eau courante un quart des quartiers insurgés.

« L’objectif de cette offensive, c’est la terre brûlée, briser la capacité de résilience de la population, confie une source onusienne. Les hôpitaux sont tellement débordés que les médecins procèdent à un tri sélectif à l’envers. Ils ne soignent plus que les blessures superficielles car ils savent que les blessés graves ne peuvent pas être sauvés. L’humanitaire sera la question-clé. Les Alépins sont-ils prêts à agoniser pendant des mois ou préféreront-ils quitter la ville, si on leur en donne la possibilité ? »

Le régime Assad se plaît à appâter ses adversaires. De nombreux résidents des quartiers est ont reçu des messages, par SMS ou sur les réseaux sociaux, leur promettant la vie sauve « s’ils hissent le drapeau de la République arabe syrienne sur le toit de leur immeuble » ou « s’ils se rendent à l’aéroport », au sud-est de la ville, tenu par les forces progouvernementales. Des promesses que les habitants traitent généralement par le mépris et avec suspicion. En juillet, très peu d’entre eux avaient choisi d’utiliser les corridors humanitaires, momentanément ouverts par l’armée russe. « Alep est trop symbolique pour tomber comme Daraya ou Al-Waer, prédit Assaad Al-Achi, le chef de l’ONG Baytna Syria, basée en Turquie. Elle se battra jusqu’au bout, coûte que coûte. »