Le ministère de l’économie et des finances, à Paris, le 19 octobre 2014. | BERTRAND GUAY / AFP

Le sujet agite les déjeuners de famille et les réunions d’amis depuis maintenant quelques semaines : à quelle sauce va-t-on être mangé avec la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu dès le 1er janvier 2018 ? Le gouvernement a beau rappeler que, pour la plupart des citoyens, rien ne change, les contribuables, eux, continuent de s’inquiéter. D’autant que subsistent, dans le projet de réforme, quelques zones d’ombre qui risquent d’en surprendre plus d’un.

« Le gouvernement a présenté cette réforme comme une simplification, mais en réalité il n’en est rien », relève Jean-Pierre Lieb, avocat fiscaliste chez Ernst & Young. Il en veut pour preuve le fait qu’avec cette réforme le contribuable paye un impôt sur le revenu « sans avoir une vision claire de la totalité des sommes qu’il va percevoir sur l’année ni des abattements potentiels qu’il pourrait avoir ».

Déjà en vigueur dans la plupart des pays européens, le dispositif prévoit qu’à partir du 1er janvier 2018, l’impôt sur le revenu soit directement prélevé par l’employeur sur le salaire du contribuable, le salarié recevant alors des émoluments net d’impôts. En outre, chacun paiera ses taxes sur les revenus engrangés pendant l’année en cours et non plus sur l’année précédente. Ce qui engendrera, pour l’Etat, une année blanche pour les impôts de 2017. L’idée étant de ne pas faire payer deux années de taxes d’un coup au contribuable (celle de 2017 normalement due en 2018 et celle de 2018). Mais, comme le note Me Lieb, « en janvier, on ne sait pas nécessairement si on va investir dans un logement locatif, si on va être augmenté ou encore si notre situation familiale va changer ».

Car selon le nouveau système, le montant de l’impôt sera calculé en fonction du salaire de l’année en cours et de la situation familiale, et ne prendra plus en compte, d’après les fiscalistes, les potentielles niches fiscales. Résultat, le montant versé à l’Etat risque d’être supérieur à ce qui sera finalement dû par le travailleur. C’est là que le bât blesse : avec ce dispositif, il faudra attendre septembre de l’année d’après pour recevoir un chèque équivalent au trop-perçu de l’Etat. Le temps de faire sa déclaration de revenus et que les pouvoirs publics calculent la somme à reverser.

Moduler son prélèvement

En clair, explique Antoine Colonna, du cabinet Norton Rose Fulbright, « le contribuable va avancer de l’argent à l’Etat, qui ne le lui rendra que plusieurs mois plus tard sans les intérêts ». Ce dont se défend le gouvernement : « l’Etat ne réalisera pas un gain de trésorerie sur le dos des contribuables (…), il est donc faux de dire que les Français verront leur impôt augmenter à cause du prélèvement à la source », insiste Christian Eckert, secrétaire d’Etat au budget.

Car si la situation de la personne imposée change, elle a toujours la possibilité de moduler son prélèvement en cours d’année pour ne pas avoir à payer d’arriérés. Mais attention, préviennent les spécialistes, il est possible de moduler à la hausse, mais le changement s’avère très limité quand le contribuable souhaite revoir ses prélèvements à la baisse : il ne peut le faire que s’il a la certitude que le montant à acquitter va baisser de plus de 10 % et d’au moins 200 euros. Une violation de ces règles peut déboucher sur une addition salée.

Le problème du décalage entre les sommes dues et celles prélevées par l’employeur se posera aussi pour les salariés qui, soucieux de confidentialité, demanderont à être prélevés selon un taux neutre. Ces contribuables qui disposent d’autres sources de revenus ne souhaitent en effet pas que leur patron connaisse le montant total de leur imposition. Pour pallier ce problème, l’administration a mis en place un taux calculé uniquement sur le salaire. Et qui ne prend donc pas en compte la situation familiale de l’intéressé. Toutes choses égales par ailleurs, les sommes ainsi ponctionnées seront l’équivalent de celles que versent aujourd’hui les célibataires vivant seul et ayant opté pour la mensualisation. Ce sont d’ailleurs les seuls qui n’en perdront pas leur latin aux prochaines réunions de familles…