Le barrage de Fourogue. | REMCA/CC BY SA 4.0

Elle n’est pas banale, l’enquête publique qui se termine vendredi 30 septembre dans le Tarn. Elle vise en effet à donner une existence légale à un barrage déjà en place, achevé il y a dix-huit ans, que la justice avait déclaré illégal lorsqu’il était encore en chantier, en 1997. Aujourd’hui, les autorités du département tâchent de redonner un caractère d’intérêt général à cette retenue d’eau située à Mailhoc et Cagnac-les-Mines, près de Carmaux.

Cette consultation ne pouvait qu’interpeller le Collectif pour la sauvegarde du Testet, tant l’histoire et les objectifs de ce barrage de Fourogue ressemblent à ceux de Sivens, contre lequel il s’est obstinément battu. Ses membres n’ont pas voulu laisser passer ce dossier de légalisation a posteriori sans attirer l’attention du public. Pour eux, il fait figure de « grand frère » du barrage qui a cristallisé les tensions sur les bords du Tescou, à 50 kilomètres de là.

Mêmes critiques sur le surdimensionnement

Certes, Fourogue n’a pas déclenché d’affrontements violents comme ceux qui ont abouti à la mort de Rémi Fraisse, un jeune manifestant tué par une grenade des gendarmes mobiles, la nuit du 25 octobre 2014, dans la forêt de Sivens. Mais pour le reste, les rapprochements sont évidents : mêmes maîtres d’œuvre et d’ouvrage, la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG) pour le compte du conseil départemental du Tarn, avec à sa tête le même président, Thierry Carcenac (PS) ; mêmes objectifs affichés, soutenir le débit d’une rivière – en l’occurrence la Vère – et répondre aux besoins des cultures en aval évalués par la même chambre d’agriculture ; et même modèle, doté d’une capacité de stockage de 1,3 million de mètres cubes pour Fourogue et 1,5 million pour Sivens.

Les deux ouvrages ont en outre connu des déboires juridiques comparables et essuyé les mêmes critiques sur leur surdimensionnement, sur les destructions d’hectares de bonnes terres agricoles pour l’un, de zones humides boisées pour l’autre. Bref, tous deux ont été vilipendés pour engager des dépenses publiques importantes dans des projets dont l’intérêt général pouvait être discuté. Le 1er juillet 2016, au demeurant, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la déclaration d’utilité publique du barrage de Sivens, comme il l’avait fait pour celui de Fourogue quinze ans auparavant.

En son temps, ce dernier avait lui aussi suscité l’opposition de riverains, d’écologistes et d’agriculteurs qui y perdaient des terres fertiles. Fer de lance de la contestation, l’association Vère Autrement a remporté plusieurs victoires sur le terrain juridique, au moins sur le principe. Ainsi, le 16 octobre 1997, elle a obtenu que soient suspendus les arrêtés préfectoraux autorisant ce chantier, trois semaines après son lancement. Les travaux auraient dû s’arrêter, cela n’a pas été le cas : les décisions de la justice n’ont pas été appliquées.

« A l’époque, les juges s’étaient appuyés sur la qualité déplorable des eaux rejetées à la hauteur de Cagnac pour exiger que ce problème soit réglé avant la réalisation du barrage, se souvient Jean-Pierre Merlo, l’un des fondateurs de Vère Autrement. Nous soupçonnions, nous, le fait que d’autres projets étaient dans les cartons pour l’irrigation dans la vallée et que l’enquête publique n’en disait rien. Nous avons par la suite demandé des documents à la CACG, nous ne les avons jamais obtenus malgré l’avis favorable de la Commission d’accès aux documents administratifs. »

« C’est vrai que c’est assez inédit »

Ni les constats d’huissiers, ni les diverses mises en demeure n’ont ralenti l’avancement du réservoir de Fourogue. L’annulation de sa déclaration d’utilité publique et d’intérêt général, prononcée le 18 janvier 2001 par le tribunal administratif de Toulouse, a pourtant été confirmée par la Cour d’appel administrative de Bordeaux le 25 octobre 2005.

Le temps a passé sans qu’il se passe rien. Aujourd’hui, les autorités cherchent à obtenir une nouvelle déclaration d’intérêt général, et la consultation locale en est le préalable. Mais le dossier d’enquête publique ne rappelle rien des péripéties passées. « C’est vrai que rétablir une existence administrative à un ouvrage qui fonctionne depuis des années est assez inédit, admet Stéphane Mathieu, le directeur de l’eau au conseil départemental. Toutes ces années, faute de statut légal, le barrage de Fourogue n’avait pas pu être remis à son commanditaire, le Tarn.

L’eau va coûter plus cher

« Le renouvellement de concession avec la CACG se faisait de façon tacite, rappelle M. Mathieu, mais ce n’est plus possible car il faut que nous établissions une nouvelle tarification de l’eau, qui tienne compte aussi d’amortissement, pas seulement des frais de fonctionnement. » Et les prix vont grimper, pour les trente exploitations agricoles clientes de ce réservoir – passant de 29 à 40 euros à l’hectare – mais aussi pour les contribuables. En effet, il y a moins de cultures à irriguer qu’annoncé au départ (400 hectares contre 260 ha, qui boiront un gros tiers seulement de l’eau produite) ; or la différence relève du budget public puisqu’elle concerne l’eau destinée à soutenir le débit de la Vère en été et même celui de l’Aveyron dans lequel elle se jette (sur ce dernier point, les associations sont sceptiques). Au total, les agriculteurs vont régler 37 % de la facture annuelle, sans compter les gros travaux de réparation exigés par l’Etat et actuellement en cours.

Tous ces éléments ont-ils pesé au moment de lancer la réalisation de la retenue de Sivens ? « Le modèle de Fourogue est plutôt satisfaisant au plan économique et il a permis d’éviter toute tension autour de l’eau dans la vallée de la Vère l’été dernier, défend Stéphane Mathieu. Et nous tenons compte des consignes nationales d’économie de l’eau puisque nous demandons une déclaration d’intérêt général avec une capacité réduite de 10 %. » Avec ce satisfecit, pas sûr que les prochains projets d’ouvrages hydrauliques soient traités vraiment différemment à l’avenir.

Pourtant, l’ancien préfet du Tarn, Thierry Gentilhomme, considère Sivens comme un « immense gâchis ». Au moment de quitter le département, il s’est confié au journal La Dépêche dans un entretien publié le 9 septembre. « Quand on voit le déroulement de ce projet, les expertises, les décisions du tribunal, on ne peut avoir que des regrets (…), assure-t-il. Le payer par la mort d’un jeune homme ajoute à la douleur de ce constat. » Sur ce « dossier trop vieux, pas actualisé, que l’on a voulu passer à tout prix », Thierry Gentilhomme dit avoir « vite compris à son arrivée que c’était la chronique d’un gros ennui annoncé ».