Une simple distraction, dépourvue de sens et se complaisant dans la violence : c’est, d’après une étude du ministère de la culture, la façon dont la plupart des Français voient le jeu vidéo. Pixels, en dix jeux, tente de faire la preuve du contraire.

« Journey », développé par thatgamecompany et édité par Sony Computer Entertainment | thatgamecompany

« Journey », le voyage poétique

Le jeu vidéo n’est pas littérature, mais il sait se faire musique, ou plus exactement, musicalité. Journey, aventure initiatique muette longue de deux petites heures, est structuré comme une symphonie classique : quatre mouvements, qui suivent la structure narrative classique de n’importe quel mythe – exposition, problématique, résolution, dénouement – pour en extraire le suc émotionnel. Tantôt entraînant, dépressif, haletant et grisant, il met en peinture, en architecture et en mouvements, ce que les compositeurs classiques mettaient en notes de musique.

Disponible en téléchargement ou en boutique sur PlayStation 3 et PlayStation 4.

« Soldats inconnus : mémoire de la Grande guerre », développé et édité par Ubisoft. | Ubisoft

« Soldats inconnus », le monument pacifiste

Non, les jeux vidéo ne sont pas tous de bêtes simulateurs de « pan-pan boum-boum ». Soldats Inconnus, sorti en 2014, est moins un jeu de guerre qu’un jeu sur la guerre : les enrôlés de force, les prisonniers, les familles déchirées, les amours impossibles. Entièrement non-violent, astucieux, marqué par un style graphique plus proche du dessinateur Tardi que du cinéaste Roland Emmerich, Soldats Inconnus est au jeu vidéo ce qu’A l’Ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque est à la littérature : son monument pacifiste.

Disponible en téléchargement sur Windows, PlayStation 3, PlayStation 4, Xbox 360, Xbox One, smartphones Apple et Android.

« The Witness », conçu par Jonathan Blow, et édité par Thekla Inc. | Thekla, Inc.

« The Witness », l’expérience philosophique

Jouer à The Witness, c’est découvrir que le jeu vidéo peut être intelligent. Mieux, qu’il peut constituer une expérience de philosophie des sciences. Lâché dans un monde muet rempli d’énigmes logiques absconses, le joueur apprend à tisser du sens en tâtonnant. Quelles sont les règles du monde ? Comment la connaissance se structure-t-elle ? Qu’est-ce qu’investir son environnement de sens ? Ce précis de philosophie des sciences réserve des moments de joie qui ne sont pas que de l’ordre du divertissement, mais de l’épiphanie, de l’eurêka, jouissance laborantine de reculer un peu plus loin les frontières de l’incompréhensible.

Disponible en téléchargement sur Windows, PlayStation 4 et Xbox One.

« Papers, Please », créé par Lucas Pope et édité par 3909 LLC. | 3909

« Papers, Please », la satire politique

Le jeu vidéo n’a pas peur non plus de s’aventurer sur le terrain politique. Ici, vous êtes un garde-frontière, chargé de contrôler les migrants désireux de rejoindre la glorieuse république d’Arstotzka. Tous les papiers sont en règle ? Sortez le tampon vert ! Un document qui manque ? Un coup de tampon rouge. A moins que… ce migrant légal ne vous paraisse louche, ou que l’histoire de ce voyageur en situation irrégulière ne vous touche. Sauf que, attention : de votre laxisme dépend votre salaire, et donc, l’avenir de votre famille. Avec une économie de moyens considérable, Papers, Please dépeint un univers autoritaire orwellien à hauteur d’homme, obligeant le joueur à se poser la question : qu’aurait-il fait dans pareille situation ?

Disponible en téléchargement sur Windows, Mac, Linux et iPad.

« Device 6 », créé par Simon Flesser et édité par Simogo. | Simogo

« Device 6 », la littérature libérée

S’il n’est malheureusement disponible qu’en anglais, Device 6 est de ces titres passionnants qui proposent le genre d’expériences impossibles ailleurs qu’en jeu vidéo. Une aventure essentiellement sonore et textuelle, quasiment dépourvue de graphismes, mais où les murs de textes se font chemins, décors, énigmes, serpentant sur l’écran, guidant (égarant ?) le joueur jusqu’au bout d’une aventure surréaliste qui doit autant aux classiques du jeu d’aventure qu’à Magritte ou à Raymond Queneau.

Plus classique, mais pas moins passionnant, il est possible de commencer avec l’intrigant Year Walk du même studio, proposant une errance au cœur du folklore suédois.

Disponible en téléchargement sur les smartphones Apple.

« Big Pharma », développé par Twice Circled et édité par | Twice Circled

« Big Pharma », la dérision industrielle

Le jeu vidéo ce n’est pas que l’action. C’est aussi la gestion, la réflexion, voire le doute. Big Pharma demande de concevoir et de synthétiser des médicaments, d’acheter des centrifugeuses, d'actionner des tapis roulants : rien que de très classique. Sauf que bientôt, le joueur altruiste, qui espère faire le maximum de profits avec les produits les plus efficaces, va déchanter. Car dans Big Pharma, les médicaments les plus utiles ne sont pas forcément les plus rentables. Et de joueurs humanistes, ceux qui veulent faire le meilleur score vont devoir se muer en businessmen cyniques. Un excellent jeu de gestion, qui, en creux, apparaît de fait comme un brûlot contre l’industrie pharmaceutique.

Disponible en téléchargement sur Windows, Mac et Linux.

« Her Story »,  développé et édité par Sam Barlow | Sam Barlow

« Her Story », les émotions bien réelles

Le jeu vidéo s’est souvent ridiculisé quand il a voulu imiter le cinéma. Her Story est une anomalie : c’est peut-être la première fois qu’un jeu se déroule intégralement en séquences vidéo sans se rendre pour autant ridicule. Ici, vous enquêtez sur une étrange affaire de disparition. Toute l’astuce du dispositif, c’est que plutôt que de poser des questions à une suspecte (la veuve), le joueur doit inspecter, de façon non-linéaire et non-chronologique, les bandes vidéos de son témoignage. Un petit bijou d’immersion, rendu possible par la performance de l’actrice Viva Seifert.

Disponible en téléchargement sur Windows, Mac, et smartphones Apple ou Android.

« Firewatch »,  développé par Campo Santo et édité par Panic | Campo Santo

« Firewatch », entre fantastique et résilience

Il paraît que le jeu vidéo permet aujourd’hui de raconter des histoires aussi fortes que le cinéma. C’est faux : il peut parfois faire beaucoup mieux. Ainsi, dans Firewatch (mais on aurait aussi pu citer les productions Telltale, ou l’incontournable Gone Home), le joueur ne va pas seulement compatir pour ce personnage venu oublier en forêt, le temps d’un été, la terrible maladie qui frappe sa femme. En fait, en se glissant dans sa peau, en suivant son quotidien (parfois nimbé de fantastique) de garde forestier, il va véritablement devenir ce personnage, et développer à son endroit un attachement inédit. Un jeu beau et émouvant sur la résilience.

Disponible en téléchargement sur Windows, Mac, Linux, PlayStation 4 et Xbox One.

« Bientôt l’été », édité par Tale of Tales. | Tale of Tales

« Bientôt l’été », promenade durassienne

Pendant que certains opposent jeux vidéo et grande culture, d’autres tendent des ponts. Dans Bientôt l’été, le studio belge Tale of Tales explore la frontière entre jeu vidéo et performance artistique en s’inspirant de l’œuvre de l’écrivaine Marguerite Duras. Un jeu atmosphérique où l’on marche, où l’on boit, où l’on fume en jouant aux échecs, et où, évidemment, l’on parle d’amour.

Tale of Tales, avant de tourner la page des jeux commerciaux, régalera encore les joueurs de Sunset, titre plus direct mais pas moins inattendu où le joueur incarne une femme de chambre sud-américaine qui assiste, depuis son balcon, à la révolution qui embrase son pays.

Disponible en téléchargement sur Windows et Mac.

« The Stanley Parable »,  développé par Davey Wraden et William Pugh | Galactic Cafe

« The Stanley Parable », labyrinthe humoristique

Quand le jeu vidéo se pose trop de questions, il devient, sous la plume de l’Américain Davey Wreden, son propre objet d’étude. Dans le kafkaïen The Stanley Parable, le joueur incarne un employé qui, un jour, décide de quitter son bureau. Ce qui lui arrive ensuite… ne dépend que de vous. Et de vos décisions, aussi insignifiantes soient-elles. The Stanley Parable ne fait pas que soulever la question du libre arbitre, souvent mise à mal dans l’étroit carcan du jeu vidéo : il le fait avec un humour au millième degré absolument irrésistible.

Avec moins de dérision mais autant de folie, Wreden poussera la démarche encore plus loin avec The Beginner’s Guide, titre introspectif et postmoderne.

Disponible en téléchargement sur Windows, Mac et Linux.