« Marche noire » contre l’interdiction totale de l’avortement, le 22 septembre, à Varsovie. | KACPER PEMPEL / REUTERS

Editorial du « Monde ». Dans un pays qui a pourtant une longue pratique de la grève, c’est une première : lundi 3 octobre, les femmes polonaises, toutes professions confondues, sont appelées à cesser le travail. Deux jours plus tôt, elles ont également été appelées à manifester, vêtues de noir, pour protester contre une initiative législative visant à imposer une interdiction totale de l’avortement en Pologne.

Pays catholique où l’influence de l’Eglise est puissante, la Pologne a déjà l’une des législations les plus restrictives d’Europe en matière d’interruption volontaire de grossesse (IVG) : cette procédure n’est légalement autorisée que lorsque la santé de la mère est en danger, en cas de viol ou d’inceste, et en cas de pathologie fœtale grave. La proposition de loi, dont l’initiative revient aux organisations militantes « pro-vie » soutenues par l’épiscopat, et qui a été soumise le 23 septembre à une commission parlementaire, vise à rendre la procédure illégale quelles que soient les circonstances, et donc impossible à réaliser en Pologne.

Si ce texte est approuvé, ce sera la première fois qu’un pays de l’Union européenne revient sur l’avortement légal. L’IVG est également interdite en République d’Irlande (où le mariage homosexuel est autorisé) et à Malte, mais elle l’a toujours été. L’Espagne a un moment envisagé, en 2014, de restreindre l’accès à l’avortement, puis y a renoncé.

« Contre-révolution culturelle »

Une telle régression serait grave – et pas seulement pour les milliers de femmes qui en subiront les conséquences. Car cette initiative, qui s’inscrit dans la dynamique ultra-conservatrice à l’œuvre depuis l’arrivée au pouvoir du parti de Jaroslaw Kaczynski, le parti Droit et justice (PiS,) en 2015, enverrait un signal de retour en arrière dans un pays qui a si courageusement et efficacement travaillé pour réussir son intégration dans la famille européenne depuis la chute du communisme. Lors d’une récente rencontre, M. Kaczynski et le premier ministre hongrois, Viktor Orban, son plus sûr allié dans l’UE, ont appelé ensemble à une « contre-révolution culturelle ». Que les femmes soient les premières cibles de cette contre-révolution est particulièrement inquiétant. L’un de ses effets sera d’encourager un peu plus les jeunes Polonaises à émigrer dans d’autres pays de l’UE.

Le gouvernement polonais, actuellement dirigé par une femme, Beata Szydlo, est déjà en butte aux critiques de l’UE à propos de la Cour constitutionnelle, paralysée depuis près d’un an par un conflit politique sur la nomination de juges et à propos du traitement des médias publics. L’équipe au pouvoir paraît divisée sur ce projet d’interdiction totale de l’avortement : une partie des responsables du PiS préféreraient éviter d’ouvrir un nouveau front de contestation populaire et de créer un contentieux supplémentaire avec les partenaires européens de la Pologne.

Ils ont raison. A eux de mettre en échec ce projet de loi, qui viole les droits des femmes et ternit considérablement l’image de leur pays. Conquis de haute lutte, le droit à l’IVG fait partie des grands combats des femmes de l’Europe moderne, même si, dans l’UE, il relève de la compétence des Etats membres. L’égalité et la liberté des femmes sont des valeurs qui unissent les sociétés démocratiques européennes. La Pologne, dont les femmes jouent un rôle de premier plan dans l’économie et la politique, ne doit pas se mettre au ban de ces sociétés par une loi obscurantiste.