Le président du Parti socialiste (PSOE) Pedro Sanchez a donné une conférence de presse dans le siège du parti, à Madrid, le 30 septembre. | GONZALO ARROYO / AFP

Politologue, ancien président du centre de recherche sociologique espagnol (CIS) et professeur de sciences politiques à l’Universidad autonoma de Madrid, Fernando Vallespin analyse la crise du Parti socialiste ouvrier espagnol, qui réunit, ce samedi 1er octobre, son comité fédéral pour éclaircir l’avenir de l’actuelle direction, alors que des manœuvres internes tentent de forcer le secrétaire général Pedro Sanchez à la démission.

Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) se livre une guerre interne pour le pouvoir. Comment en est-il arrivé là ?

Tous les partis de la social-démocratie en Europe traversent des difficultés internes, des problèmes de définition de leur modèle. Le PSOE a un problème générationnel. Après être passé de l’ère de Felipe Gonzalez à celle de José Luis Rodriguez Zapatero, il n’y avait pas de relève claire. Et quand il a fallu mener une rénovation, la présidente d’Andalousie, Susana Diaz (à la tête de la principale fédération socialiste), n’a pas pu, à ce moment-là, se présenter à Madrid pour être secrétaire générale. Elle a eu recours à un inconnu, Pedro Sanchez, comme candidat aux primaires ouvertes aux militants de 2014.

Une marionnette qui devait lui garder la place au chaud ?

Pedro Sanchez était un instrument pour gagner du temps face à l’autre candidat aux primaires, Eduardo Madina, qui n’était pas sous sa coupe. Mais l’opération ne s’est pas passée comme prévu. Une fois élu secrétaire général, Pedro Sanchez a voulu s’installer dans la durée et prendre les commandes. C’est de là que sont nées les premières tensions car il a été vu comme un usurpateur d’un pouvoir qui devrait appartenir au parti socialiste andalou.

C’est donc une simple guerre de pouvoir ?

Pas seulement. Car entre-temps est apparu Podemos qui a posé un sérieux défi à la situation confortable du bipartisme dans lequel se trouvait le PSOE. L’apparition d’un rival, qui essaie de se situer sur le même espace politique, a provoqué des tensions très fortes qui ont touché cette fois à la définition des principes politiques du PSOE. Pedro Sanchez a été très sensible à ce bouleversement et il s’est fixé comme objectif de récupérer le vote jeune, urbain, de gens ayant un niveau éducatif élevé qui a été perdu au profit de Podemos. Le PSOE gagne aujourd’hui essentiellement dans le sud, en Andalousie et en Estrémadure, dans les zones rurales et chez les personnes âgées.

Mais il n’est pas parvenu à colmater cette fuite…

Chaque élection est une agonie, où le PSOE angoisse en se demandant si le sorpasso (dépassement) va avoir lieu. Il ne lutte plus pour l’emporter face à la droite mais pour ne pas se faire dépasser par Podemos. Et la réaction de Pedro Sanchez consiste à emmener le parti sur le terrain de Podemos pour essayer de contrer son discours. Or les gardiens du temple socialiste voient cela d’un mauvais œil. Le Parti socialiste s’est toujours considéré comme celui qui a mené à bien la transition démocratique, posé les ciments de l’Etat des autonomies et de l’Etat providence, tout ce que critique Podemos.

Les négociations discrètes qu’a menées ces dernières semaines Pedro Sanchez pour former un gouvernement avec Podemos et le soutien des indépendantistes catalans ont-ils été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ?

Sans doute. Pedro Sanchez risquait de situer le PSOE en dehors du bloc « constitutionnaliste », radicaliser le parti et défendre une Espagne multinationale. En cas de troisième élection, il existait un risque pour le parti de passer sous les 70 députés. Derrière ces questions, c’est tout le grand dilemme de la social-démocratie européenne : si elle est un parti du système, elle perd face à la droite mais si elle se gauchise, elle perd face aux partis alternatifs. En Espagne, s’y ajoute la question territoriale. Selon les critiques à Sanchez, le PSOE ne pouvait pas accepter un gouvernement avec le soutien des indépendantistes qui impliquait forcément de leur faire des concessions et d’accepter, tôt ou tard, des référendums d’autodétermination qui mettaient en question l’unité de l’Espagne. Et il ne pouvait pas faire confiance à Podemos qui a dit lui-même que son objectif est de détruire le PSOE. Pour les critiques à Sanchez, un tel gouvernement aurait rompu complètement avec ce que signifie le PSOE dans l’espace politique espagnol. À cela, s’ajoutait une succession de défaites électorales qui perçaient à chaque fois le plancher du vote socialiste.

Quand les critiques augmentent pour tenter de forcer Pedro Sanchez à la démission, après les élections basques et galiciennes, celui-ci décide de convoquer des primaires pour asseoir son pouvoir. C’est à ce moment-là que 17 membres de la commission exécutive déposent leur démission pour forcer la sienne. Au Royaume-Uni, Corbyn a lui aussi chercher la légitimité de la base pour s’accrocher au pouvoir…

La différence est que dans le cas espagnol, il n’y a pas de vrai débat idéologique. Sanchez résume l’opposition interne entre ceux qui, dans sa lignée, voudraient maintenir le « Non » à Rajoy et les autres, qui voudraient favoriser son élection par l’abstention. Il est clair que les critiques à Sanchez considèrent qu’ils doivent rester dans l’opposition pour se reconstruire. Tandis que Sanchez se sent sous pression de Podemos, qui a su utiliser la très forte polarisation de la société espagnole entre les « pour » et les « contre » à Mariano Rajoy pour déstructurer le discours du PSOE. Podemos dit à Sanchez, puisque tu es contre Rajoy, viens avec nous, au risque de faire perdre au PSOE les votes du centre.

Que peut-il se produire à présent ?

Le PSOE peut continuer à se diviser. Une scission n’est pas impossible. S’il s’effondre, il favorisera l’hégémonie du Parti populaire. À moins que les deux camps qui s’affrontent parviennent à trouver une personne qui fasse office de médiateur, prenne les rênes du parti et soit considéré comme neutre dans ce conflit interne.