Selon les derniers sondages, c’est le oui qui l’emportera  en Colombie lors du référendum pour la paix, organisé dimanche 2 octobre. | LUIS ROBAYO / AFP

Les uniformes sont flambant neufs. Au garde-à-vous sous le soleil, les hommes de la toute nouvelle police pour l’édification de la paix écoutent le maire de San Vicente del Caguan, Humberto Sanchez, leur souhaiter la bienvenue. Leur première mission sera d’assurer la tranquillité du « plébiscite pour la paix » du dimanche 2 octobre. Trente-cinq millions de Colombiens sont appelés à se prononcer sur « l’accord pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable » entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

« Avez-vous jamais vu un pays qui demande à ses habitants s’ils sont d’accord pour vivre en paix ? », interroge Domingo Perez, l’ex-maire de gauche. Dans les médias locaux, la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt s’étonne, elle aussi, « qu’il y ait des gens pour voter non à un accord qui va mettre fin à cinquante ans de conflit ». C’est sur la route de San Vicente del Caguan, que Mme Betancourt, alors candidate à la présidentielle, a été enlevée par les FARC en 2002. Elle a passé six ans aux mains des guérilleros. « Le pardon n’est pas facile », admet-elle.

Le oui gagnant dans les sondages

Les derniers sondages, publiés une semaine avant le scrutin, donnaient le oui gagnant, dans une fourchette allant de 55 % à 66 %. Les votants des deux bords sont convaincus que « le scrutin est le plus important du dernier quart de siècle ». Mais l’abstention, toujours forte en Colombie, pourrait dépasser 50 %.

San Vicente del Caguan est un gros bourg, très commerçant, en plein territoire FARC. Avec ses 28 300 km², la municipalité, qui s’étend de la chaîne des Andes à la jungle, est presque aussi grande que la Belgique. Elle compte 70 000 habitants. L’aéroport ne fonctionne plus. Florencia, le chef-lieu du département du Caqueta – l’un des plus touchés par le conflit –, se trouve à trois bonnes heures de route. « Dans une région abandonnée à elle-même, les FARC sont devenues un acteur social incontournable. Il fallait dialoguer pour sortir du cercle vicieux de la violence », considère le maire de la ville, Domingo Perez.

Ce dernier a été élu sous l’étiquette du parti Centre démocratique (CD), la formation de l’ex-président Alvaro Uribe, chantre du non à la paix. « Mon parti fait campagne pour le non, mais ici, dans notre région qui a souffert de la guerre, tout le monde d’une façon ou d’une autre veut la paix. Alors je préfère ne pas me prononcer, explique M. Sanchez. Je ne peux pas prendre le risque d’une confrontation avec le gouvernement central qui défend ouvertement le oui ». Les « uribistes » dénoncent une campagne électorale déséquilibrée.

Au pouvoir depuis 2010, M. Santos a fait de la paix avec les FARC la priorité de ses deux mandats. Il est crédité de 28 % de popularité. M. Uribe, de 50 %. « La polarisation entre les partisans du oui et ceux du non résulte largement de l’opposition personnelle entre MM. Santos et Uribe », explique Eugénie Richard, professeur de marketing politique à Bogota.

« Nous avons réussi »

Le camp du non tente de se mobiliser pour protester contre l’accord passer entre le gouvernement et les FARC, en Colombie. | LUIS ROBAYO / AFP

« La paix n’est pas facile parce qu’elle demande de changer les cœurs », explique le prêtre Carlos Sanchez, venu bénir la nouvelle police. L’Eglise colombienne a refusé de se prononcer sur le référendum. « C’est par calcul politique – pour ne pas se brouiller avec les élites réactionnaires du pays – que l’Eglise refuse de se prononcer pour le oui. Elle oublie sa mission de réconciliation », s’indigne Domingo Perez.

Les guérilleros sont-ils prêts à changer leur cœur ? Mimique sceptique du père Sanchez. Pourtant, lundi 26 septembre, à l’occasion de la signature officielle de l’accord, dans la ville de Carthagène des Indes, le grand chef des FARC, Rodrigo Londono, a publiquement demandé « pardon aux victimes du conflit » pour « toute la douleur » que les FARC ont pu causer.

La foule qui assistait à l’événement, sur place à Carthagène des Indes ou sur écran géant dans les grandes villes du pays, a explosé de joie. « Si, se pudo ! » (« Nous avons réussi ! ») ont scandé les partisans de la paix.

Devant l’église, Oscar Tellez, un paysan de 76 ans venu vendre son fromage, se dit ému aux larmes : « Je n’aurais jamais cru voir un jour les FARC déposer les armes. » John Romero, 27 ans, camionneur, hésite encore : « D’un côté, c’est difficile d’accepter que ces salauds de guérilleros reçoivent de l’argent pour se démobiliser alors que nous, on se tue au turbin. Difficile d’accepter que leurs chefs échappent à la prison et aillent au Congrès. Mais d’un autre côté, le Congrès est déjà plein de politiciens pourris. Alors, un de plus ou un de moins… Et la paix, c’est bien pour les affaires. » Plusieurs grands patrons colombiens ont apporté leur soutien au processus de paix.

« Les FARC contrôlent tout ici »

Pitufo, 25 ans, conduit son 4 x 4 déglingué sur les pistes de la région. Adolescent, il a fricoté avec les FARC et continue de travailler pour eux à l’occasion. Il doute que les guérilleros rendent jamais les armes. « Les FARC contrôlent tout ici, explique-t-il. Les paysans pauvres les aiment bien, ils se sentent protégés. Et ceux qui ne les aiment pas font semblant de les aimer. »

« Les guérilleros sont mauvais. Ici, nous les connaissons et nous savons de quoi ils sont capables. C’est facile pour M. Santos dans son beau bureau de Bogota de négocier avec eux », explique un pharmacien de San Vicente. Il ne veut pas dire son nom. En 2015 encore, il a payé aux FARC « le vaccin », l’argent exigé aux commerçants et aux éleveurs de la région, sous la menace des armes.

Le 24 août, les FARC ont annoncé un cessez-le-feu définitif doublé d’un arrêt des hostilités. C’est dire que la guérilla abandonne la pratique de l’extorsion. Le pharmacien n’y croit pas. « Les guérilleros vont cacher leurs armes un temps, et continuer à faire ce qu’ils ont toujours fait », enrage-t-il.

« Après des années de conflit, marquées dans le département par les exactions de la guérilla, les crimes de la mafia, les massacres des paramilitaires, les abus de la force publique, les gens ici ne font plus confiance à personne. Le non prospère sur cette incrédulité citoyenne », explique l’économiste Jorge Pulecio, qui milite pour le oui à Florencia.

La campagne des uribistes y est beaucoup plus agressive qu’à Bogota. « Voter oui, c’est dire oui aux FARC. Voter non, c’est défendre la Colombie », dit un gigantesque panneau publicitaire. Les partisans du « oui » sont convaincus du contraire.

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