Le premier ministre indien lors du 147e anniversaire de la naissance de Mahatma Gandhi, le 2 octobre. | PRAKASH SINGH / AFP

C’est un grand pas vers l’entrée en vigueur de l’accord de Paris sur le climat. L’Inde a ratifié, dimanche 2 octobre, le traité issu de la COP21 destiné à contenir le réchauffement climatique sous le seuil de 2 °C par rapport au niveau préindustriel.

La date n’a pas été choisie par hasard : c’est le jour anniversaire de la naissance du Mahatma Gandhi, né il y a 147 ans, qui avait déclaré que la planète comptait « suffisamment de ressources pour répondre aux besoins de tous, mais pas assez pour satisfaire le désir de possession de chacun ». L’Inde peaufine ainsi son image d’une puissance émergente, consciente de ses responsabilités dans la limitation du changement climatique.

Un total de 62 pays représentant près de 52 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ont dorénavant ratifié l’accord. Avec l’Union européenne, qui doit emboîter le pas de l’Inde mercredi, l’accord conclu à Paris en décembre 2015 réunit les conditions nécessaires à son entrée en vigueur, qui devrait intervenir dès novembre pendant la COP22 de Marrakech.

Comment réconcilier les impératifs de développement et de lutte contre le changement climatique ? C’est le difficile défi qui se pose à l’Inde. Au lieu de limiter sa consommation d’énergie, elle a choisi de se convertir aux énergies propres. C’est en tout cas son intention. Car le charbon, le plus polluant d’entre tous, est aujourd’hui à l’origine de 60 % de sa production d’électricité, et sa consommation devrait doubler d’ici les quinze prochaines années.

Renforcer le solaire et le nucléaire

Dans sa contribution à la lutte contre le réchauffement climatique remise à l’ONU le 2 octobre 2015, le gouvernement indien annonçait vouloir augmenter la capacité de production d’énergie renouvelable à 175 gigawatts (GW), contre 38 GW aujourd’hui, en misant essentiellement sur le solaire. Un objectif jugé ambitieux, et qui va dépendre de l’évolution du coût des panneaux solaires et des financements mis en place par le gouvernement.

Le premier ministre, Narendra Modi, est également à l’origine de l’Alliance solaire mondiale, destinée à favoriser les partenariats entre 120 pays pour promouvoir cette énergie renouvelable. D’ici à 2030, l’Inde veut augmenter la part des sources d’énergies non fossiles à hauteur de 40 % de sa production d’électricité. Ce qui l’obligerait à multiplier par dix ses capacités de production nucléaire, de 6 à 63 GW. De nombreux experts y voient un programme irréaliste, tant la construction de centrales nucléaires rencontre une forte opposition dans le pays, et alors que d’autres sources d’énergie pourraient devenir plus compétitives. Le pays s’est aussi engagé à réduire d’au moins un tiers l’intensité carbone de son PIB d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005.

Au total, l’Inde évalue à 2 500 milliards de dollars (2 200 milliards d’euros) l’ensemble des actions qui doivent être engagées en matière de climat. Elle compte sur les transferts de technologies et l’aide financière des pays développés pour atteindre ses objectifs. Car New Delhi entend bien mettre les pays riches en face de leurs responsabilités. « On doit passer d’un discours sur le changement climatique à celui sur la justice climatique », avait déclaré en septembre 2015 M. Modi.

Attitude plus conciliante

Malgré des objectifs ambitieux, le pari indien est donc loin d’être remporté. Le pays est déjà le troisième émetteur de gaz à effet de serre de la planète, alors que 363 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté et 240 millions n’ont pas accès à l’électricité. Si l’Inde veut continuer à sortir des millions d’habitants de la pauvreté sans changer son modèle de développement, elle pourrait mettre en péril, à elle seule, l’objectif de la communauté internationale de limiter la hausse des températures à 2 °C. L’Agence internationale de l’énergie, basée à Paris, estime que la demande indienne va constituer le quart de la hausse mondiale de la consommation d’énergie d’ici à 2040.

L’Inde, qui a eu longtemps la réputation d’être inflexible dans les négociations sur le changement climatique, a adopté une attitude plus conciliante lors du sommet de Paris de décembre. « Après la ratification de l’accord par la Chine et les Etats-Unis en septembre, et par le Brésil, l’Inde n’a pas voulu apparaître comme la seule puissance émergente à traîner des pieds, explique une source diplomatique européenne. Le feu vert de M. Modi a été donné malgré la réticence de son administration. »

Est-ce aussi parce que l’Inde a une conscience plus aiguë des catastrophes qui la menacent ? Avec le réchauffement des températures, les précipitations pendant la mousson seront plus abondantes et de courte durée, mettant en danger la production agricole du pays, la fonte des glaciers de l’Himalaya aggravera les risques de crue dans la plaine du Gange, et les cyclones seront plus nombreux à balayer la côte est du pays.

Le pays a pris conscience de ces dangers lors des inondations qui ont ravagé la ville de Chennai, dans le sud, en décembre 2015. Destructrices, elles comportent également des risques sanitaires importants, en favorisant la multiplication de moustiques porteurs de la dengue, du Chikungunya ou du paludisme. Le gouvernement évalue les pertes liées à l’élévation des températures à 1,8 % de son PIB annuel jusqu’en 2050.

Début de difficiles négociations

« L’Inde vient de montrer qu’elle était un pays responsable dans les négociations sur le climat, mais la ratification n’est que le début de difficiles négociations, assure Chandra Bushan, le directeur général adjoint du Centre pour la science et l’environnement basé à Delhi. Elle devrait jouer un rôle important dans les discussions à venir sur les sujets du financement de la lutte contre le changement climatique, de l’adaptation et des pertes et dommages. »

Après la ratification du traité de Paris, l’Inde doit désormais concrétiser ses promesses. Le gouvernement doit mettre sur pied des comités interministériels et nouer un dialogue avec les différent Etats fédéraux et les municipalités, pour traduire les engagements dans la loi ou dans des réformes. Un régulateur indépendant mesurant les émissions de chaque secteur de l’industrie doit être mis sur pied. « La consommation énergétique doit être mesurée avec précision dans les années à venir, ce à quoi de nombreux secteurs de l’économie ne sont pas encore préparés », avertit le quotidien The Hindu dans son éditorial daté du 27 septembre.

COP21 : malgré l’accord, « il y a encore beaucoup de travail à mener »
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