Les deux policiers accusés d’avoir proféré des menaces de mort, de viol et de s’être livrés à des violences et des attouchements le 22 septembre, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), à l’encontre de Guillaume Vadot, un enseignant-chercheur de la Sorbonne, ont livré leur version des faits.

Alors que l’Inspection générale de la spolice nationale (IGPN) a été saisie par la Préfecture de police de Paris et qu’une plainte pour abus d’autorité, violences volontaires aggravées, agression sexuelle aggravée, menaces, injures publiques et vol a été déposée auprès du parquet de Bobigny le 27 septembre, les deux fonctionnaires ont transmis à leur hiérarchie un rapport d’information relatant leur intervention en gare RER de Saint-Denis. Le Monde a pu consulter ce document, daté du 26 septembre, le jour où Guillaume Vadot donnait une conférence de presse au cabinet de son avocat, Me Slim Ben Achour.

Sans surprise, les policiers mis en cause – un brigadier et un gardien de la paix en fonction à la brigade des réseaux franciliens, tous deux sans antécédents disciplinaires connus – contestent les accusations dont ils font l’objet. Ils n’ont pas encore été entendus par l’IGPN, à la différence de l’enseignant, déjà auditionné deux fois la dernière semaine de septembre. Le témoignage de la jeune femme qui l’accompagnait ce soir-là a également été recueilli. Une analyse des images de vidéosurveillance tournées sur la voie publique, à Saint-Denis, est en cours.

Guillaume Vadot, militant du NPA, était alors intervenu lors de l’interpellation d’une femme par la police nationale et la sûreté ferroviaire, « pressentant un débordement ».

« On entendait des cris stridents d’une dame noire d’environ 45 ans, menottée. Elle criait de douleur, a relaté l’enseignant. J’ai eu un réflexe banal, j’ai filmé. Un agent de police m’a dit que je n’avais pas le droit de filmer dans l’enceinte d’une gare. Je suis sorti. »

Dans leur rapport, les deux policiers reviennent sur les conditions de l’interpellation de cette femme. Selon les fonctionnaires, Guillaume Vadot ne se serait pas contenté de filmer la scène, il aurait poussé la foule à l’émeute en criant : « Laissez-la tranquille bande de racistes ! C’est une sans-papiers, c’est pour ça que vous l’emmerdez ! (…) Allez, tous ensemble, on va récupérer cette innocente ! » Selon son procès-verbal d’interpellation, la femme en question, Marie-Florence G., en réalité âgée de 31 ans, venait d’être interpellée pour « outrages et rébellion », refusant de décliner son identité alors qu’elle avait été contrôlée sans titre de transport.

« Clés de bras fléchi »

L’enseignant raconte que les deux policiers lui auraient alors confisqué son téléphone et l’auraient plaqué contre un mur en lui faisant une clé au bras. Une version que confirment les policiers, tout en contestant toute violence excessive : les deux fonctionnaires assurent n’avoir pratiqué que les « clés de bras fléchi » réglementaires pour immobiliser l’enseignant, « qui ne cessait de se débattre ».

Les récits divergent à nouveau quand Guillaume Vadot évoque les « coups de pieds », « de genoux » qui lui sont assénés. Un policier explique qu’« en se débattant, [il] a pu malencontreusement se heurter à un étui d’arme ou à la jambe de (s)on collègue… ».

Dans sa plainte, que Le Monde a pu consulter, l’enseignant rapporte aussi qu’un des policiers lui aurait touché plusieurs fois les fesses et répété une dizaine de fois qu’il était un « pédé », une « sale pute », qu’ils allaient le « tuer », le « violer ». Des attouchements formellement démentis par les deux policiers : « Ayant chacun nos deux mains occupées par la clé de bras, disent-ils, nous n’avons pas touché les fesses de Vadot Guillaume. »

« Deux flics, crânes rasés, avec les yeux brillants »

Enfin, Guillaume Vadot dit aussi avoir reçu une décharge de pistolet à impulsion électrique sur le bras gauche, malgré son immobilisation. « Ça pique, hein ? », lui aurait lancé l’un des deux fonctionnaires. Dans leur rapport, les policiers nient lui « avoir envoyé une décharge de taser dans le bras ». Ils assurent qu’un tel geste aurait forcément « déclenché une rupture du système nerveux central de l’individu qui se serait traduit par une chute au sol de ce dernier ». Un argument réfuté, en off, par nombre de leurs collègues : « On s’envoie souvent de petites décharges entre nous, pour déconner », explique un policier.

L’enquête devra également trancher un autre point : alors que l’universitaire explique que les policiers, trouvant sa carte d’électeur, ont désigné du doigt l’immeuble où il habite (« Tu habites là-bas, hein ? (…) On va mettre une cagoule et venir chez toi pour te violer »), les deux fonctionnaires assurent n’avoir trouvé que deux documents d’identité dans son sac à dos : une carte professionnelle ne mentionnant pas d’adresse, et un permis de conduire indiquant une adresse à Lyon.

Enfin, les policiers rappellent qu’ils ne correspondent pas, physiquement, au portrait dressé par M. Vadot, « deux flics, crânes rasés, avec les yeux brillants » : « J’ai les cheveux en pétards et mon collègue a également une coupe de cheveux fournie, dit l’un des fonctionnaires. Je précise être porteur de lunettes de vue. »