Des soldats pendant le référendum sur l’accord de paix, le 2 octobre, à Bogota, en Colombie. | MARIO TAMA / AFP

Les Colombiens ont rejeté, dimanche 2 octobre, l’accord de paix visant à clore cinquante-deux ans de conflit avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Le « non » s’est imposé de peu lors de ce référendum, avec 50,2 % des voix contre 49,8 % en faveur du « oui ». Un résultat inattendu, qui a d’autant plus créé la surprise que ce pacte avait reçu un large soutien de la communauté internationale, et notamment de l’ONU.

Le cessez-le-feu bilatéral et définitif, observé depuis le 29 août, « reste valide et restera en vigueur », a assuré le président Juan Manuel Santos ; tandis que, Timoleon Jimenez, alias « Timochenko », le chef des FARC, a réitéré l’engagement des guérilleros « à ne faire usage que de la parole comme arme de construction de l’avenir ». Toutefois, c’est bien un échec des négociations de paix que signe ce vote, projetant la Colombie dans l’inconnu.

L’accord entendait en effet mettre fin à une confrontation armée aussi complexe qu’ancienne, née en 1964 d’une insurrection paysanne. Au fil des décennies, la rébellion marxiste des Forces armées révolutionnaires, qui compte encore 5 765 combattants, a impliqué guérillas d’extrême gauche, paramilitaires d’extrême droite et forces de l’ordre, faisant plus de 260 000 morts, 45 000 disparus et 6,9 millions de déplacés.

Un accord jugé trop « laxiste »

Conclu au bout de presque quatre ans de pourparlers, sous l’égide de Cuba et de la Norvège, pays garants, ainsi que du Venezuela et du Chili, accompagnateurs, l’accord comprenait six volets :

  • La fin des affrontements, avec le désarmement des guérilleros sous supervision d’une mission de l’ONU, qui a déjà vérifié la destruction de 620 kg d’explosifs. Les autorités s’étaient aussi engagées à combattre les gangs issus des milices paramilitaires.
  • La sortie, sans armes, des guérilleros des zones de concentration où ils se trouvaient.
  • Une réparation morale et matérielle des victimes, et une sanction pour les responsables de crimes graves. Des tribunaux spéciaux devaient être créés pour juger les guérilleros, les agents de l’Etat et les particuliers impliqués dans des exactions (enlèvements, viols, déplacements forcés, recrutement de mineurs). La plupart des ex-guérilleros devaient être amnistiés ou bénéficier de peines alternatives s’ils passaient aux aveux.
  • Un minimum de cinq sièges à la Chambre des députés et cinq sièges au Sénat pour les FARC, qui devaient pouvoir en emporter davantage dès les prochaines élections en 2018.
  • Une réforme agraire pour la répartition des terres, l’accès au crédit et l’installation de services basiques en zones de conflit.
  • La fin des cultures illicites dans les zones d’influence des FARC, notamment de coca, assortie de sources alternatives de revenus pour les paysans et d’un programme de santé publique, afin de lutter contre le narcotrafic.

Sur trois de ces points en particulier, les opposants à l’accord ont jugé le texte trop laxiste, selon Daniel Pécaut, directeur d’études à l’Ehess : « Une certaine impunité, avec une justice aménagée de type transitionnelle pour les ex-FARC ; l’idée d’une participation politique légale avec plusieurs sièges au Parlement ; et des aides financières intérimaires pour les ex-guérilleros de base. » Ce supposé « laxisme » a été vécu comme particulièrement insupportable eu égard « à l’hostilité » et même à la « fureur » que ressent une partie de la population contre les FARC, après de longues années de conflits sanglants, note M. Pécaut.

Le « non » l’a largement emporté dans « de grandes bourgades provinciales situées dans des départements qui jouxtent les zones tenues par les groupes armés, où se concentrent une classe moyenne et une élite locale importante, qui ne supportent plus la proximité des zones rurales aux mains des groupes armés », ajoute-t-il.

La crainte d’une agitation sociale

Les FARC ont aussi accumulé les erreurs, d’après le média colombien El Espectador, qui cite notamment l’expression trop tardive d’un « pardon » pourtant très attendu par la population, ou encore l’assurance – trop tardive elle aussi pour convaincre – qu’ils déclareraient toutes leurs ressources et les verseraient aux victimes. Si nul ne connaît la valeur de ce butin, la revue Forbes a classé les FARC comme « le troisième groupe terroriste le plus riche du monde », d’après El Espectador.

Selon Daniel Pécaut, une frange de la population craint également que la pacification de la Colombie n’engage le pays sur la voie de réformes qui permettront, finalement, l’expression de revendications sociales jusqu’alors étouffées par le conflit armé. « Les paramilitaires ont assassiné des leaders sociaux, les FARC ont essayé de les instrumentaliser, il n’y a plus d’espace de revendication sociale depuis trente ans », relève le chercheur.

L’élite conservatrice craindrait donc une agitation sociale sur la base des criantes inégalités de revenus et de l’extrême concentration de la propriété terrienne, que les anciens guérilleros pourraient se charger de canaliser.

Un clivage très politique

La polarisation entre les partisans du « oui » et ceux du « non » traduit toutefois, avant tout, le clivage entre l’actuel président centriste, Juan Manuel Santos, qui a consacré son mandat aux négociations de paix, et l’ancien président Alvaro Uribe (2002-2010), conservateur, qui a mené une campagne farouchement opposée à l’accord de La Havane.

Pour son second mandat, le président Santos s’est largement fait élire avec la promesse de faire aboutir les négociations. « Il y a dépensé toute son énergie, et n’a mené aucune autre grande réforme pour le pays, se discréditant peu à peu. Sa cote de popularité est très basse, autour de 20 %, tandis que celle d’Uribe atteint 60 % », explique Daniel Pécaut.

L’ancien président, dont M. Santos était pourtant le ministre de la défense, a conservé le prestige de celui qui a modernisé l’armée colombienne et mené une lutte sans merci contre les FARC, largement approuvée par l’opinion publique. Alvaro Uribe, pourtant, se dit aujourd’hui favorable à la paix et la négociation, bien que dans des conditions différentes de celles prévues par l’accord de La Havane. Il espère une renégociation dont nul ne sait si elle sera possible.

L’échec de cet accord plonge finalement la Colombie « dans une impasse, estime Daniel Pécaut, avec une société divisée par un clivage dont on ne sait plus très bien ce qu’il représente, tout le monde étant partisan d’une solution négociée ». Avec la marginalisation du camp réformiste et du président Santos, et l’élection présidentielle qui se profile d’ici un an et demi, la pacification du pays semble une nouvelle fois repoussée à des horizons incertains.