A Beit Lahiya, dans la bande de Gaza, en février 2016. | Hatem Moussa / AP

Dix ans que ça dure. Les factions palestiniennes ont un paradoxe en partage : elles savent que leurs divisions sont mortifères mais semblent incapables de les surmonter. Décidées en juin par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, les élections municipales du 8 octobre devaient être une rare lucarne démocratique. L’occasion, aussi, de mesurer la véritable popularité du Hamas dans la bande de Gaza, qu’il contrôle depuis 2007. Le test n’aura pas lieu. Lundi 3 octobre, la Haute Cour palestinienne a estimé que le scrutin ne pourrait être organisé qu’en Cisjordanie, à une date inconnue, parce que les tribunaux à Gaza ne sont pas indépendants.

L’imbroglio juridique est un prétexte. Une nouvelle fois, l’atmosphère viciée entre le Fatah, la formation de M. Abbas, et le Hamas éloigne la perspective d’une réconciliation palestinienne. Les deux parties se rejettent la responsabilité. Le Hamas est soupçonné d’avoir voulu échapper à ce rendez-vous électoral, conscient de son impopularité croissante dans la bande de Gaza. En septembre, un tribunal local y avait invalidé plusieurs listes du Fatah, provoquant la fureur de l’Autorité palestinienne. « L’annulation de ces listes s’est faite selon des critères juridiques, se défend Ghazi Hamad, cadre politique du Hamas et spécialiste des relations internationales. Nous voulons participer aux élections. Nous étions même prêts à constituer une liste nationale, de coalition, avec les autres factions, mais le Fatah a refusé. La situation n’est pas saine. »

« La souffrance des gens »

En vérité, l’annulation du scrutin a secrètement satisfait une partie de ses dirigeants. Ghazi Hamad le reconnaît lui-même : « Nous n’aurions pas obtenu les mêmes résultats qu’aux élections de 2006, à cause de la souffrance des gens. » Le Hamas avait d’ailleurs décidé de ne pas se présenter sous sa bannière. Dans chacune des 25 municipalités de la bande de Gaza, il avait enregistré une liste avec un nom différent.

« Le Hamas savait qu’il ne gagnerait pas dans de nombreux endroits, et il ne le voulait pas, d’ailleurs, explique l’analyste indépendant Omar Shaaban. Ils cherchaient à mettre des technocrates à la tête des municipalités pour les gérer, tout en conservant des sièges au sein des conseils pour avoir un œil sur tout. Mais ils n’ont pas trouvé assez de technocrates. »

La domination du Hamas sur Gaza n’est pas menacée, mais le mouvement est conscient de l’immense frustration populaire. « Pourtant il est impossible d’imaginer une révolte populaire pour protester, d’abord à cause de la peur des représailles », assure Issam Hammad, ingénieur en équipements médicaux. Tandis que l’aile militaire du Hamas reste concentrée sur ses capacités d’attaque contre Israël, l’aile politique se penche sur sa rénovation de façade. Cela commence par la succession de Khaled Mechaal comme chef du bureau politique. Discutée depuis plusieurs années, elle devrait se concrétiser au printemps 2017. Le favori est l’ancien premier ministre Ismaël Haniyeh.

En outre, le Hamas a travaillé dans l’ombre sur la rédaction d’une nouvelle charte, dépoussiérant sa doctrine et sa stratégie. Ce texte d’une vingtaine de pages, qui n’a pas été révélé, doit remplacer la charte de 1988, qui clamait qu’il n’y avait pas « de solution au problème palestinien en dehors du djihad ». De ce point de vue, pas de changement à attendre : Israël sera toujours dans la ligne de mire, justifiant la poursuite de la « lutte » par tous les moyens nécessaires, y compris les attentats suicides.

« Nous devons utiliser un langage acceptable »

Mais la nouvelle charte a pour but de présenter un visage plus conciliant sur la scène intérieure palestinienne. « Il faut que nous y évoquions le partage nécessaire du pouvoir, explique Ahmed Youssef, l’une des figures modérées du Hamas, que consultent souvent les visiteurs étrangers à Gaza. Il faut faire des compromis pour convaincre le plus de gens possible. Nous devons utiliser un langage acceptable, pas seulement pour nos partisans, mais pour toute la région et le monde. » Le mouvement islamiste compte affirmer sa volonté d’occuper toute sa place au sein des instances dirigeantes palestiniennes, et notamment de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

L’organisation souhaite aussi sortir de son isolement géographique et politique. Les relations avec l’Iran ne sont pas totalement rétablies, depuis le refus du Hamas en 2012 de soutenir le régime syrien, dont Téhéran est le parrain. Celles avec les pays arabes restent difficiles, malgré l’aide financière du Qatar. L’Arabie saoudite, elle, privilégie le rapprochement en coulisses avec l’Etat juif. L’Egypte, comme Israël, continue d’imposer un blocus sévère à la bande de Gaza, le Hamas étant, historiquement, une émanation des Frères musulmans.